mardi 8 août 2023

Les Herbes sèches



Nuri Bilge Ceylan (le plus grand cinéaste vivant ?) Ce n'est pas gai, ni drôle (la vie non plus), c'est le portrait d'un homme désenchanté, frustré, pas clair dans ses motivations et ses agissements, limite antipathique. Samet est professeur, perdu au fin fond de l'Anatolie enneigée, englué dans un quotidien ennuyeux et rude, borné par des collègues médiocres, aux prises avec d'insaisissables complexités : celle des adolescentes, celles des rivalités professionnelles et amoureuses, sa propre médiocrité. Le film tisse un réseau de relations d'attirance, de frustration, de trahison, de manipulation, le tout se jouant sous la surveillance latente que chacun dans ce petit monde exerce sur les autres, et sous la pression de l'autorité supérieure : celle de l'administration scolaire aussi présente que l'autorité politique et morale que la société exerce sur tout un chacun.

Dans cette poussière de village paumé, où tout n'est qu'ébauche, frustration, solitude, inachèvement, c'est comme si la neige omniprésente entravait, étouffait et ensevelissait tout : personne n'est libre, sauf Nuray, sans doute, enseignante elle aussi et ancienne activiste gauchiste, une femme engagée ; c'est la lumière de ce film complexe et amer (admirable Merve Dizdar, primée à Cannes). Il y a entre Samet et Nuray un fameux dîner - dîner en forme de traîtrise, d'où Samet est arrivé à évincer son colocataire et rival-. Dans ce dîner, donc, ils se livrent à un long échange hyper dense (ce genre d'échange dont seuls deux intellos sont capables) qui ressemble à une mise au point entre deux visions du monde, deux manières d'être radicalement étrangères, et qui renvoie Samet à lui-même : rêvant d'une mutation à Istanbul "où la vie sera meilleure", Nuray lui fait remarquer qu'il sera le même à Istanbul.

Les échanges ont beau voler haut, Samet n'en reste pas moins jusqu'au bout du film un personnage tortueux et complexe, étranger à la lumière de Nuray, habité par ce qui sera la conclusion du film à partir des herbes sèches du paysage (la neige a fini par fondre) : un monologue irracontable sur le ratage d'une vie et l'aridité de la maturité. Très grosso modo. Le réalisateur peint magistralement la complexité de l'âme humaine, comme il peint magistralement les images et les couleurs de son film. C'est un grand film à voir en grand écran.


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