vendredi 28 janvier 2022

Nightmare Alley

 Guillermo del Toro. Au vu de la première scène, c'est un type bizarre qui arrive dans un cirque itinérant. Fauché, aux abois, il y creuse son trou en acceptant les pires petis boulots. Comme il est arriviste, ambitieux et astucieux, il monte en grade peu à peu, et particulièrement après sa rencontre avec la voyante sur le retour et son mari, mentaliste déchu. Il apprend les ficelles du métier etc.... Le film raconte d'abord l'ambition et l'ascension de ce type dans ce monde du cirque. La peinture de ce monde et de ses figures est séduisante et convaincante, colorée, chatoyante et effrayante à la fois, montrant l'envers de violence et de misère qui sous-tend le décor. Les personnages, les péripéties, les monstres, tout est pittoresque, bien senti et bien foutu jusqu'au moment où il quitte le cirque des bouseux pour réussir brillamment en ville, dans des salles chic et prestigieuses. C'est la deuxième partie. A partir de là, c'est toujours brillant et enlevé, toujours aussi parfait visuellement. Il y a  tout ce qu'il faut là où il faut, notamment Cate Blanchett qui apporte sa contribution spectaculaire et vénéneuse, mais c'est trop parfait dans la démonstration. Quelque chose cloche. C'est devenu une mécanique dont on attend le moment où elle va s'enrayer.  Ça devient un peu long, démonstratif, prévisible. Le charme se dissipe et on a bien compris que le monstre n'est pas forcément là où on l'attend ni celui qu'on croit.

samedi 22 janvier 2022

Anselm Kiefer au Grand palais éphémère




Hem, comment vais-je m’emmêler les pinceaux pour commettre un commentaire ? L’immensité de la tâche est à la mesure de l’immensité de l’œuvre. Je me lance. Je ne sais pas pourquoi je « marche », et même je galope chaque fois que je vois une exposition de ce peintre. (J’ai raté Monumenta il y a quelques années au Grand Palais, je ne connaissais pas Kiefer.) Je l’ai donc découvert une première fois à Pantin (Galerie Taddeus Ropac) et quelque chose a fonctionné. Sans que je sache ou me rappelle quoi. Je me rappelle que je déambulais dans l’immense galerie en m’approchant, reculant, scrutant, et en me disant que tout ça résonnait en moi, mais je ne sais pas ou plus comment ni pourquoi. Le deuxième choc a été à la rétrospective de Beaubourg. J’ai compris que j’aimais le stratificateur chez Kiefer. L’obsédé du passé et de la ruine, l’obsédé de macabre, de pourriture, de résurgence. Le stratificateur faisant feu du bois de l’histoire, à commencer l’histoire dont il est issu, né d’un pays en ruines qui a mis en pièces l’Europe en premier lieu (et le monde par propagation) et massacré des populations entières, que ce soit par principe (extermination par la shoah) ou par nécessité (à la guerre comme à la guerre). Comment est-ce qu’on grandit dans un univers en ruines ? En trifouillant les décombres, en agençant, en assemblant, en essayant des combinaisons à reprendre et à défaire. En s’obsédant de matière brute à recomposer, en faisant appel à la mémoire, la sienne et celle du monde, en convoquant des milliards de feuillets, des millions de livres, les brûlés, les disparus, les interdits, les profanés. En s’immergeant dans les cendres dont on se couvre aussi la tête, et en revenant aux fondamentaux : la terre, celle des sillons qui font germer la pourriture, la terre qui engloutit les cadavres, la terre qui se travaille en sillons pour semer une improbable renaissance, produire des germinations suspectes.
Kiefer montre aussi le feu qui devrait purifier, mais commence par détruire, j’ai vu d’extraordinaires explosions de lumière volcanique, des feux d’artifice d’apocalypse, des comètes, des explosions, des incendies ou des feux qui couvent sous la cendre, des secousses, des menaces telluriques, des volcans qui n’en finissent pas de se réveiller ou de s’éteindre, des paysages désolés, dévastés par l’hiver ou des corrosions suspectes, des proliférations et bourgeonnements louches, des végétaux mal en point, des champs de ruines ordonnés comme à la parade, à moins que ce ne soient des champs de blés ou les humains se dressent comme des millions d’épis à faucher. Humains, pauvres humains en haillons, comme des spectres, des épouvantails mal fagotés, déshabillés de paille et de chiffon. J’ai vu des sous-marins qui émergent dans des lumières de fin du monde et une ambiance de Jugement dernier, des météorites qui s’abattent sur la terre comme des bombes, des falaises qui n’en finissent pas de rougeoyer ou de guerroyer dans une tourmente illuminée par un soleil atomique, des blockhaus dans une nuit de folie. Kiefer peint la guerre, les hurlements de la guerre, les terreurs enfantines qui rejoignent celles des humains figés dans des tranchées où ils sont condamnés à mourir pour l’éternité. Kiefer peint l’enfer, la désespérance, et curieusement, une certaine jouissance à organiser le chaos, à l’orchestrer pour en faire sa chose, et curieusement, ça doit être ça qui me plaît, qu’il me promène dans le chaos dont chacun a conscience, juste à fleur de conscience, comme l’écho d’un inconscient collectif et de la tragédie universelle. Il effleure les remugles latents, il en faudrait peu pour que ça mue en plainte infinie, hululement sinistre et assourdissant, mais Kiefer reste le maître de l’enfer, il arrive même à insuffler de la poésie, des mots, de la beauté dans cette horreur profonde. Des lumières tragiques zèbrent le ciel, des végétations mutantes se fraient un chemin vers les noirceurs célestes, car c’est la nuit, la nuit noire, à moins que ce ne soit la lumière noire qui baigne tout son paysage. C’est son paysage mental qu’il nous livre, en le faisant résonner avec celui de Paul Celan (je dois me décider à lire Paul Celan).






 

vendredi 14 janvier 2022

Twist à Bamako

Twist à Bamako, Robert Guédiguian : le Mali fraîchement indépendant, un sympathique jeune homme,  militant idéaliste et naïf, la clique politique, la classe des marchands, une jeune femme en rupture de mariage forcé. Une histoire d'amour naît sur fond de conflits entre individu et société, ou comment les aspirations individuelles se heurtent aux lois politiques et sociales. Ça se passe à l'époque du twist et à l'âge des boîtes de nuit et c'est joliment raconté : c'est pas mal, même si tout est un peu convenu.

Rose, d'Aurélie Saada : ou comment la mort de l'époux (40 ans de mariage ou plus) ouvre de nouveau horizons. Assez long, assez bavard et bruyant. C'est une variation très moyenne sur le thème de La Vieille dame indigne. Bof. On peut s'en passer

mercredi 12 janvier 2022

Bad Luck Banging or Loony Porn

Radu Jude. Le mieux, c'est de débarquer sans savoir ce qu'on va voir, parce que c'est assez étonnant et déroutant, surtout la 1ère séquence. Donc, il vaut mieux n'absolument rien lire avant de voir le film pour aller d'indices en surprises, d'autant que la deuxième séquence est bizarre, elle aussi. On a quitté la chambre des ébats, on est en ville, dans la rue, avec une femme convenablement et sobrement habillée d'un tailleur gris, qui marche interminablement dans la ville, prétexte à montrer un paysage moche, dégradé, criard, vulgaire : toutes les images peignent la laideur et la vulgarité ambiante, le bâti est moche, à base de grands ensembles d'immeubles, ou dévasté ; ce qui est ancien est rare et complètement en ruine, les immeubles sont tagués, dégradés, il y a tout le temps des voitures, trop de voitures qui se garent impunément sur les trottoirs, les gens sont agressifs, mal élevés, sexistes, ils s'insultent crûment (genre suce ma bite etc). Bref, on voit une ville criarde, vulgaire et éprouvante et une humanité ordinaire agressive, médiocre et mal élevée. 

On comprend que cette femme s'interroge sur les raisons qui ont conduit un film porno amateur (les ébats d'un couple) à atterrir sur la toile et ruiner son crédit et sa réputation de professeure dans un bon établissement scolaire.  Episode qui se poursuit par une série de saynètes ou images illustrées de proverbes, ou assertions diverses sur les principes et références qui organisent la Roumanie. Un mélange de mise à distance et mise en scène des lieux communs ou du fonds culturel commun. Un regard ironique et désabusé sur le contexte historique, sociétal et politique baigné de pensée correcte.

En fait, et c'est la dernière séquence, cette femme se rend à une convocation-confrontation avec les parents d'élèves pour qu'on juge si on va la laisser enseigner encore. C'est donc un procès où les parents donnent libre cours à leurs plus bas instincts moralisateurs, c'est toute la mauvaise foi de la "bonne éducation", le conformisme petit-bourgeois, les lois de l'ascension scolaire et sociale, les interdits, la religion. A l'arrière plan surgit tout un passé et un substrat / une culture de l'antisémitisme, de l'anti-tziganisme, de la pensée totalitaire, qu'elle soit nazie ou stalinienne, du négationnisme, de la corruption, de la morale la plus réactionnaire. Sur la base d'un discours conformiste, hypocrite et moralisateur, les protagonistes s'affrontent sur les principes de l'éducation et les principes en général.

C'est à la fois une farce, une rigolade, une charge féroce et/ou caricaturale et c'est un peu "too much", mais c'est bien. C'est un ton et une construction différents et rafraîchissants. Un drôle d'exercice de style qui, à partir d'une banale affaire de sex-tape en chambre, la chose la plus intime qui soit, donne au film une vraie dimension critique et politique. 

Cf d'autres films de Radu Jude : Aferim, Peu m'importe si l'histoire nous considère comme des barbares... (YouTube)

dimanche 9 janvier 2022

Tromperie

Arnaud Desplechin. C’est sûr, il y a tromperie sur la marchandise. C'est relativement ennuyeux, ce bavardage de couple (adultère) qui parle de tout et de rien (plutôt de rien) et Podalydes n’est pas du tout à la hauteur de Léa Seydoux, qui crève l’écran et captive. Podalydes/Roth fait plutôt pâle figure, alors que son rôle de vampire devrait le rendre électrique et fulgurant. Car il se nourrit de ses conquêtes pour écrire et couche sur le papier leurs (insipides) échanges de couple, il revient aussi à d’anciennes conquêtes qu’il revoit, à qui il téléphone etc.
En plus, Podalydes  n’est pas du tout assez juif. Je ne sais pas ce que j’entends par là, je suppose que j’attendais un peu de « Witz », quelque chose de spirituel et brillant, or ça ne l’est pas.
J’ai hâte de lire le livre pour retrouver la causticité et l’intelligence de Philip Roth, parce que là, le compte n’y est pas. A la rigueur, on pourrait dire que le film prend un peu son essor dans le troisième tiers ?