samedi 2 novembre 2019

Joker

Todd Phillips.
Quel film bizarre et dérangeant.  Autant j'ai détesté la bande-annonce qui ne rend que le pire du film, autant j'ai adoré le film. Outrance clownesque et cascade de malheurs. Et pourtant c'est un excellent film où on avance constamment sur le fil du rasoir entre l'outrance, justement, et une tristesse profonde devant une réalité sociale désespérée et déprimante, avec une certaine empathie pour les laissés pour compte. Ce qui est fascinant,  c'est cette peinture de la mutation d'Arthur Fleck, ou comment, de clown miteux, il devient Joker. Chaque séquence du film est une pure tranche d'horreur et de séquence en séquence, on s'affranchit de toute convention pour entrer dans la peau et le mental d'un maboul, dont la folie est effroyablement logique, comme la conséquence d'un fatal enchaînement de circonstances.
Donc, Athur Fleck est un paumé, un minable, un raté, rêvant de percer dans le "stand up". Et c'est aussi un être humain naïf et psychotique à la fois. Il scanne le réel et en tire les conclusions délirantes qui s'ensuivent. On en est à la fois horrifié et de son côté. Et on finit par transgresser tous les codes quand on se réjouit de ses exactions. Le clown triste devient un fou de plus en plus lucide et de moins en moins naïf qui jubile et qui danse, et on se retient d'applaudir des deux mains (expression idiote, comment pourrait on applaudir autrement) devant cette étrange prise en main de son destin de sociopathe.

vendredi 1 novembre 2019

Martin Eden, Pietro Marcello

Pietro Marcello
Étonnant Martin Eden (magnifique Luca Marinelli) transposé dans une Italie du 20ème siècle avec une tonalité dominante années 50 et une référence aux mouvements sociaux du siècle. Le film est ponctué de séquences photos, comme des arrêts sur image de visages, de scènes de rue populaires comme des rushes de vieux films sur la réalité de la misère, de la rue. Ce qui brouille la stricte référence historique mais renforce l'empathie humaine et sociale du fim. L'ascension de Martin Eden est une peinture subtile de la lutte des classes, a priori le travailleur inculte vs le bourgeois, et montre plus finement au sein d'une même classe, les divers étages de conflits entre plus ou moins pauvres et plus ou moins dominés. Les ouvriers, les tout petits commerçants et entrepreneurs... et l'ex marin devenu fainéant (il écrit et ne gagne rien au début).
Au déterminisme de classe s'oppose la détermination de l'individu qui émerge au sein du groupe social. A lire ça, on pourrait s'attendre à un film didactique, mais c'est vraiment une peinture riche et complexe d'un individu dans une époque, un milieu et sa propre histoire. Comment va-t-il se démarquer et se déterminer, appartenir ou pas, intervenir ou pas. Ainsi la première scène où "il s'en mêle" et sauve un jeune bourgeois en train de se faire tabasser. Ce qui le propulse dans un nouveau monde et une dynamique d'ascension sociale par la culture et d'exclusion de son propre milieu. Martin Eden trahit sa classe en sauvant ce bourgeois et à partir de là ne trouvera plus sa place nulle part. Ni chez les bourgeois, ni chez les socialistes. Son credo, c'est l'individu. Le personnage lumineux, solaire, puissant perd sa vitalité et son éclat à mesure qu'il gagne son statut d'écrivain, son argent et sa notoriété. Mais il n'appartient plus. Ni aux pauvres ni aux bourgeois. Dans un film où chacun, les sympathiques comme les antipathiques, appartient à un groupe, sa classe ou son camp, il y a deux ovnis : l'écrivain Martin Eden et l'étonnant personnage du mondain, génie et poète à ses heures, Russ Brissenden. Très beau film.