dimanche 11 septembre 2011

Un festival Tarkovski

En fait, j'aimerais passer une semaine de festival Tarkovski dans une station décatie (pas spatiale, quand même, quoique) balnéaire, ou thermale, à condition qu'elle soit passée de mode, qu'il y ait un palace défraîchi, dénué de technologie, dont le mobilier daterait des années 50 et le service aussi, c'est à dire qu'il serait approximatif, assuré par un personnel ex-soviétique légèrement rogomme. Ça pourrait être une station de Crimée ? ou un haut lieu touristique de l'ex nomenklatura sur la mer Baltique ? Les festivaliers seraient invités à communiquer le moins possible.

J'ai quand même vérifié rogomme dans le Robert : c'est pas du tout ça (je l'avais employé comme synonyme de revêche). Rogomme s'applique à la voix. Le rogomme, liqueur, boisson forte dont l'abus altère la voix, la rend basse, rauque > d'où cette extrapolation vers rêche, puis revêche. Ce qui n'empêche pas le dit personnel, s'il le souhaite, d'abuser du rogomme : mon personnel ex-soviétique, vaguement ou gravement rogommisé, serait donc à peu près pompette, ou complètement ivre, c'est selon, et ça colle dans le paysage. Et à propos de paysage, pourquoi mon fameux festival ne se déroulerait -il pas dans la ville (mais où, bon sang ?) où a été tourné Nostalghia ?

Tarkovski

Je n'avais pas vu de film de Tarkovski depuis 20 ? 30 ans ? quand j'ai écrit ça, et de toute façon, je serais bien en peine d'en fournir une analyse. Mais je retiens l'état de choc dans lequel ses films m'ont plongée. Sauf Nostalghia, qui m'avait plongée dans un profond ennui, à l'époque, et j'avais décrété qu'il était impossible de livrer son âme impunément à chaque coup et que Tarkovski était bien obligé de rater un film pour avoir le temps de se recomposer. Drôle de discours, puisqu'entretemps, j'ai revu Nostalghia et je l'ai trouvé sublime.
Le premier choc, ça a été Andrei Roublev, je me souviens que je n'ai pas bien compris, mais j'avais quand même été saisie aux cheveux, raptée, mise hors de moi et en même temps proche d'un moi intime, inconnu, sous-jacent, bref, il m'apparaissait que Tarkovski s'occupait de choses essentielles comme le sens de l'homme, des nuages, du fil de l'eau, du son des cloches et de la quête solitaire. J'étais donc suspendue en état de grâce, mélange de clairvoyance et d'opacité, aveuglée par la lumière tarkovskienne (euh, là, la passion m'emporte, mais il est vrai que ce film m'a fait le choc d'une révélation, sans que j'arrive à mesurer ce que ça révélait exactement, sinon des images, ce qui après tout, n'est pas si mal pour un film) dans un monde dont les tenants et aboutissants m'échappaient mais qui me parlait intensément de ce qui doit s'agiter dans les tréfonds de l'âme humaine. C'était une histoire de moine et de quête, ce qui en somme va de soi, d'images du ciel au printemps, avec le caractère intense et primesautier (mais si, là, exceptionnellement, ça peut aller ensemble) de ce genre de ciel, toujours prêt à basculer d'une humeur et d'une couleur à l'autre, le printemps allant avec la fête de la naissance de la cloche, car une cloche finissait par naître, extraite d'une gangue de glaise, et c'était un suspense fou, et l'apothéose du film et de la quête du moine, - est-ce qu'il était fou, ou seulement intransigeant ?- et une foule nombreuse attendait et redoutait le miracle du son; et puis il y avait des rivières, ou même un fleuve, parce qu'en Russie, tout est fluvial, et tout ça parlait de l'âme, et pire encore, de l'âme russe, ce qui rend l'âme encore plus fluviale, nécessaire et contagieuse.
Et voilà, ce film inquiétant se jouait tout du long "sur le fil ", par là, j'entends qu'on avait toujours le sentiment d'une catastrophe imminente, et parlait de la complexité et de la versatilité des choses, de l'âme, de l'homme, de la profondeur et de l'évanescence.
Après, toujours dans la catégorie du bouleversement absolu, il y a eu Stalker, mais il est encore plus difficile de parler de Stalker, je suppose que ce film se passe après la catastrophe qui a cessé d'être imminente. Il est toujours question de quête; mais là, c'est encore plus obscur, ça se passe dans des non paysages, des non couleurs et des non lieux, avec ces gens qui échangeaient certainement des propos profonds, et obscurs, cela va de soi. Eh bien, loin d'être rebutée par toutes ces difficultés, je me suis vue encore une fois, subjuguée, "sur le fil", vivant et vibrant avec ces étranges personnages qui suivaient un étrange parcours.
Le troisième choc, c'est le Sacrifice, bien sûr, qui récapitule les obsessions du maître : la catastrophe est toujours dans les parages, mais cette fois, il y a un deal avec la peur viscérale, animale et brutale, la culpabilité, l'innocence, et toujours les images, c'est le film testament qui une fois de plus attrapait le spectateur par les pans de l'âme, l'irradiait de concepts sombres et lumineux autour du sens obscur de la vie, pour le relâcher ensuite, légèrement démantelé, dans la médiocrité du quotidien.
Je devrais peut-être en revoir un ou deux, pour voir. Ou mieux vaut pas ?

samedi 10 septembre 2011

Et aussi

True Grit, Ethan et Joel Coen
J'ai déjà oublié que c'était bien, et pourquoi c'était bien.

Winter's bone Debra Granik
Une jeune fille veut retrouver son père : libéré sous caution, il a disparu après avoir engagé la maison comme caution. La fille, responsable de sa mère, à l'ouest, et de ses petits frère et sœur, va donc perdre cette maison si elle ne le retrouve pas. -> plongée dans un milieu de truands ruraux. Excellent

Le Discours d'un roi Tom Hooper (le roi bègue et son orthophoniste).

L'homme d'à côté (argentin) Gaston Duprat, Mariano Cohn : un designer branché dans sa villa Le Corbusier, le voisin fait irruption dans sa vie privée quand il décide de percer une fenêtre mitoyenne pour avoir un peu de lumière. Le voisin, prolo, lourd, le designer bobo arrivent à être odieux tous les deux. Pas mal. Un peu laborieux.

Animal Kingdom, David Michôd : (australien) quand sa mère meurt d'une overdose. le cousin Joshua débarque chez sa grand mère, vieille blonde sordide, ses fils à l'avenant. Ils butent un flic, la police essaie de les coincer. Implacable. Impeccable.

My best friends, Paul Feig, avec Kristen Wiig. Drolatique. Galerie de personnages, anecdotes, rebondissements.

Les Bien-aimés

Christophe Honoré. Je m'attendais au pire, façon 8 Femmes, j'y suis allée à reculons, accablée d'avance par l'idée de la "qualité française". Mais c'est réussi, entre légèreté et gravité, sans en avoir l'air. Les acteurs sont parfaits. Ludivine Sagnier est épatante, sexy et tout, ses chaussures aussi, et aussi son chéri tchèque. Chiara Mastoianni fait très bien la jeune femme de notre temps. Et Deneuve, c'est Deneuve. Quelques longueurs.

Pain noir

Agusti Villaronga

comme une débile, je ne connais même pas ce cinéaste, qui paraît-il fait depuis longtemps des choses somptueuses. Alors,

voilà un film comme on en fait peu, avec une histoire, une ambiance, un mystère, des rebondissements, un contexte, des personnages principaux et secondaires et tout ça filmé dans une couleur dense et sombre, comme le film. Le personnage principal, l'enfant, est magnifique. C'est un film étonnant, âpre et classique à la fois, violent, d'une très grande beauté formelle. C'est cette rencontre d'une forme somptueuse et de la noirceur des hommes qui transporte (oui, oui, transporte. Oui, oui, c'est bien moi, l'âme humaine sombre et retorse, ça me plaît)


La Planète des Singes


L'homme descend du singe, et y remonte bien vite. Donc, les hommes sont des gros vilains qui ne pensent qu'au profit et qui seront bien attrapés à la fin. Car qu'est la science sans conscience etc. Et les bébés singes, qu'est-ce que c'est mignon, et la belle indienne (?), qu'est-ce qu'elle est mignonne, et le chercheur, qu'est-ce qu'il est sympa, et le papa Alzheimer, comme c'est triste et touchant. Et preuve que les Américains sont bien plus avancés que nous, le directeur du labo est black, et le palefrenier des singes (comment ça s'appelle, quand on s'occupe des singes ?) est blanc, bête et méchant. Alors pourquoi suis-je allée le voir ? Pourquoi pas.

lundi 5 septembre 2011

Epluchure monumentale au Garigliano

Voici le Pont du Garigliano avec sa courbe métallique étirée au dessus de la Seine. Il allait bien avec les sablières sur les quais et l'idée plus ou moins ambiante de friche industrielle. Il enjambait un paysage vacant, au ban de la ville, où le regard se perdait au delà du périphérique, vers la banlieue du soleil couchant. Vers l'est, c'était à peine Paris, juste un panorama de promesses touristiques, (Trocadéro, Tour Eiffel, Sacré-Coeur ... ) parce que le pittoresque parisien commence un pont plus loin, à Mirabeau.
J'aimais bien cet endroit qui hésitait à devenir quelque chose, et incarnait encore la modernité des années 60, à peine dérangée par la masse vitrée de France Télévision. Si ce pont avait été inscrit comme paysage urbain significatif, il n'aurait pas subi l'outrage géant, rouge, jaune et rose, épluchure monumentale dont l'agonie bariolée s'éternise au-dessus de la Seine. Ode à la culture du recyclable, désespérément muette, laidement inutile, la Cabine de Sophie Calle domine la gangrène immobilière des espaces périphériques et gâche la perspective.

Mais heureusement, c'est fini, ils l'ont enlevée. (vers 2013 ?)
Sauf que le paysage est quand même gâché par l'inexorable progression immobilière (le nouveau ministère de la Défense qui promet d'être bien moche).

dimanche 4 septembre 2011

Les plages de Fellini


J'aime les films qui parlent de dévastation. Stalker est mon préféré. Le Sacrifice et Le 7ème Sceau figurent aussi en bonne place. Même chez Fellini, ce que je préfère, plus que l'extravagance chic, plus que les morceaux de bravoure, c'est la désolation, les terrains vagues, les non lieux, les fresques dissoutes. Peut-être parce que Fellini filmait aussi la nostalgie des choses disparues, le cinéma dans les patelins, les saltimbanques, la tristesse des cabarets et celle des hommes solitaires, les agonies dans le petit matin, et le mystère des grosses femmes de son enfance posées sur la plage comme d'extravagants Ovni, recelant des secrets. Qu'est-ce qu'elles disent, ces plages de Fellini ? La fascination pour le non-lieu et le non avenu, l'étrange et l'extraordinaire. Ces chairs sont d'une exubérance sans joie, l'exubérance de l'excès et du débordement. Elles parlent de l'existence massive, de l'être dans sa chair, de l'esprit débordé par la chair, de la matérialité exacerbée de la chair et de la puissance du corps passif et glouton, empâté et empêtré dans des sensations qui ont mis l'esprit en déroute.

Mais la chair exubérante n'est pas que celle des monstres. C'est aussi Anita Ekberg et la fascination qu'inspire un corps parfaitement occupé, le triomphe de mamelles opulentes surmonté d'un visage rayonnant. La beauté femelle et l'affichage sexuel... C'est le charme de Fellini, cette faculté d'enchaîner les hypothèses, cette glissade d'une anecdote à l'autre dans une journée oisive où le héros est confronté aux farces et aux frasques du quotidien. Fellini rebondit sur la densité joyeuse, élastique, généreuse d'Anita Ekberg qui le renvoie à d'autres chairs massives, immuables, c'est l'instant Ekberg contre l'éternité de mammas placidement obèses.

C’est la chair qui est forte, la chair qui mange et boit et dort … et l’esprit qui est faible, hélas. C’est toujours la chair qui gagne, et l’esprit penaud assiste à sa débâcle, tout piteux dans son coin, submergé par le déferlement de la gloutonnerie, de la paresse, de la force des choses …. D’ailleurs, à la fin, la chair gagne encore : quand le corps meurt, la chair continue à vivre en pourrissant et générant larves et vers, tandis que l’esprit est bel et bien muet, à supposer qu’il soit quelque part.