jeudi 24 janvier 2013

The Master


Paul Thomas Anderson.
On entre d'abord dans la tête de Freddy Quell, vétéran de la 2ème guerre mondiale, alcoolique et détraqué, et c'est plutôt bordélique, violent, et outrageusement arrosé de gnôle. Et puis on entre dans la tête de Lancaster Dodd,  une espèce de gourou qui prêche sa philosophie de la vie et du savoir -être. C'est ampoulé et tortueux, on ne comprend pas trop ses propositions fumeuses, mais Dodd fascine son public (sa famille et un nombre croissant d'adeptes). Quell entre dans leur univers à sa manière rebelle, à moitié adepte, à moitié homme de main, et fait des allers-retours dans cet univers étrange dominé par le gourou, avec l'action en sous-main de l'étonnante épouse. 
C'est l'affrontement de deux fortes têtes liées par la violence. Quell est fasciné par cette puissante figure paternelle charismatique, qui l'ancre et le centre alors qu'il est à la dérive. Dodd est séduit par la pure sauvagerie de Quell, et la possibilité de le réduire (car "dans la vie, tout homme obéit à un maître"). C'est puissant et captivant. On ne sait pas où commence la duperie, la manipulation ou la fascination. Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman sont fabuleux.

lundi 21 janvier 2013

Soutine à l'Orangerie


L'ordre du chaos. Ouf, dire que j'ai failli rater l'expo. 

Une merveille de couleurs et de (folie) expressive. L'espace, les sujets, le décor, tout se tient, tout correspond. Soutine ressent le monde et relie tout. Il embarque les pierres, les végétaux, les animaux, les objets, les humains, dans une peinture vivante, vitale, vivace, sensitive et sensuelle. Ce sont des peintures animales et animées (anima). Soutine peint à fleur d'inconscient, là où l'âme ne se donne pas la peine de classer le monde en catégories. 

Dès la première salle, c'est un miracle et une folie de paysages avec des maisons, des rues folles, des escaliers, des arbres, c'est échevelé et palpitant. Les collines se tordent, les maisons s'enlacent, l'univers danse. Puis viennent les arbres, (l'arbre couché, l'arbre bleu (pas si bleu), et des effets de bourrasque dans des bosquets. Et aussi ce tableau magique d'un paysage de campagne avec 2  enfants qui rentrent de l'école après l'orage.
C'est bien la première fois que j'aime les Glaïeuls, mon préféré est celui où le bleu du pot et le rouge-brun du fond se confondent en une matière brillante et sensuelle pendant que les glaïeuls éclatent en oriflammes. Un autre miracle, L'Escalier Rouge à Cagnes, vivant, vibrant, sublime entre deux rangées de maisons et un bouquet d'arbres qui s'échappe par dessus le mur du jardin à droite (Moscou MAGMA).  
Puis vient la série du désastre animal, la débâcle du vivant. J'ai de l'amitié pour cette Raie éventrée (le tableau est à Cleveland) qui flotte, comme épinglée au mur, avec les tripes à l'air et un drôle de rictus, entre indigné et effaré, au dessus d'une formidable théière ronde, luisante et voluptueuse, qui trône sur la table. La Table, justement, où simultanément tout converge vers un centre d'où tout éclate. Curieux équilibre de forces centrifuges et centripètes. Quel carnage. Comme si on avait sauvagement planté un couteau au cœur d'une pièce de viande, à côté d'une bouteille aussi puissante que la théière du tableau d'à côté. Vivante. (Chez Soutine, tout est vivant, et parfois, les objets plus que les êtres animés.) Il y a aussi cette drôle de peinture, où la table avec deux fourchettes et un bol ressemble à une silhouette famélique (un squelette ?) drapée de noir avec ses deux bras (les fourchettes), dirigés vers le plat de trois harengs. (coll Larock Granoff)
Dans l'ensemble, toutes ces bestioles font de drôles de têtes, on dirait qu'elles rient jaune. Des dindons effarés finissent d'agoniser, pris entre des rouages, des mécaniques et des crochets. Un faisan sans défense s'abandonne à son sort, les jambes toutes molles dans son petit suaire blanc, ayant abdiqué toute hypothèse de résistance. C'est comme si les bêtes gardaient dans la mort le souvenir de leur effroi de bêtes égorgées, déplumées, éviscérées.
Les carcasses de bœuf, en voilà, du saignant, de l'embrasement, c'est l'enfer des peintures du Moyen-Age, une fournaise de sang et de flammes, des abîmes de douleur.
Dans la salle des portraits, les figures pitoyables d'humains qui révèlent leur nature et le tragique de leur existence. L'air faux-cul des enfants de chœur, chacun à sa manière, (le petit éveillé, qui nous jette un petit regard en coin, et l'autre qui avance à pas menus et se frotte les mains avec une componction toute cléricale). La Femme de chambre, mi-revêche, mi-modeste, lourde de frustration sociale, falote et soumise, mais d'une soumission qui n'en pense pas moins, une sœur Papin en puissance. Une certaine bêtise autosatisfaite chez Le Garçon d'étage, à moins qu'il ne soit intelligent et désabusé. Le Petit Pâtissier, avec son cou trop maigre d'adolescent dégingandé, trop vite poussé, et son air absent, ou un peu vide, peut-être simplement vidé par son labeur, sous sa drôle de toque. Mélange indéterminé, c'est ça qui est fort, c'est une tête jeune, en devenir, il n'a pas encore fixé sa physionomie, il est en cours de (vitrification, détermination). En attendant, on lui a probablement trop tiré les oreilles, surtout la gauche. La Fiancée fait une drôle de tête déconfite, juste à côté d'un portrait de vieille femme (Déchéance). Une sorte d'avant/après. La Petite fille à la poupée, tragique, montre qu'un enfant peut être désespéré, et le petit garçon a un air de clown triste, c'est comme si Soutine révélait le caractère pitoyable d'humains incomplets, malheureux, inassouvis, inaccomplis. Drôle de portrait de femme en robe rouge. Tout dans les volutes des mains et de l'étoffe, et un visage simiesque. Et aussi le portrait de la Vieille femme (Cleveland) : c'est comme si, dans son grand âge, près de disparaître, elle se fondait, diluait, dissolvait dans le décor. 
Devant certains tableaux (L'Homme au petit chapeau de feutre), on se dit que Bacon a bien regardé Soutine. Et aussi, peut-être, que Soutine a bien regardé James Ensor.
Ce sont des visions fulgurantes "non sans virulence instinctive" (E.Faure) dans lesquelles Soutine crée une curieuse harmonie, même si elle est ivre, ou baroque (?), puisée au « suc des épaisseurs vivantes ». La capture d'un désordre intérieur sublimé par une pensée (ou un pinceau) sensible. (L'expo s'appelle bien L'ordre du chaos ?)


samedi 19 janvier 2013

Tuileries





Le tombeau des Droits de l'homme




Au champ de Mars : Monument des Droits de l'Homme. (2012, décembre 12). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 07:33, janvier 21, 2013 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Monument_des_Droits_de_l%27Homme&oldid=86453384.
Très étonnant d'apprendre que ce monument pompeux a été érigé en 1989. Je lui aurais donné bien plus, tellement il m'a l'air déphasé, avec son petit air hermétique, jalousement fermé sur ses secrets et bourré de références maçonniques.  En fait, c'est surtout qu'il se pousse du col, dans un légitime souci d'aspiration vers le haut, mais qu'est-ce qu'il est guindé et dédaigneux, avec son air d'en savoir plus que les autres, et une intention bien affichée de ne rien partager de ses mystères. C'est bizarre d'associer ça aux Droits de l'Homme. A moins qu'ils n'aient voulu sacraliser la chose ? Bof, je préfèrerais quelque chose de plus libre, avec un peu de souffle, plutôt que ce tombeau. Ça y est, j'ai compris, ça ressemble à un tombeau, c'est le tombeau des Droits de l'homme. C'est bizarre.
 

Les grues du Pentagone à la française



jeudi 10 janvier 2013

Gangs of Wasseypur

Anurag Kashyap
De la pure violence sur fond de société purement violente. Ça commence en 1940 (partie 1, vue en DVD) par l'exploitation des mineurs du charbon, l'appropriation des ressources locales par les gangs locaux et les rivalités entre eux pour asseoir leur pouvoir de génération en génération. Dans la partie 2, on en est aux années 80 et à la troisième génération de gangsters. Meurtres, corruption, business, extorsions de fonds... voyous, policiers, politiciens, tout ça trafique et s'étripe sans discontinuer. Et la relève s'annonce prometteuse, avec la montée en puissance des bébés flingueurs. Tout ça avec une certaine drôlerie - par exemple l'utilisation de la musique bollywoodienne - et par moment un côté "pieds nickelés". Quelques geysers d'hémoglobine, des poursuites, de multiples fusillades, égorgements et autres étripades, ça, c'est pour la violence tarantinesque. Mais derrière la violence, il y a une critique sociale féroce, un regard décapant sur une société corrompue, où prospèrent truands, flics et politiciens. (Le réalisateur dénonce au gré des interviews le rôle abrutissant du cinéma bollywoodien, totalement déconnecté de la réalité sociale). Les femmes ont un rôle intéressant. A l'arrière-plan, les "vrais" gens, ceux qui subissent la dictature des truands de tous bords.
Le pire, c'est que c'est (presque) vrai.

mercredi 2 janvier 2013

Le pont du Garigliano est libre


Ça fait longtemps que je voulais fêter ça, le pont du Garigliano est débarrassé depuis quelques mois de son épluchure géante, la maudite cabine téléphonique de S.Calle. Plus rien ne fait obstacle au regard, sauf notre "Pentagone" à la française qui monte, qui monte, qui monte. Ça fait des mois aussi que je me promets d'aller photographier la forêt de grues.