mardi 23 avril 2024

La Jeune fille et les paysans


 

1 La Jeune fille et les Paysans, une merveille réalisée DK et Hugh Welchman. Etrange film d'animation à partir de prises de vue réelles, où chaque chaque scène a été peinte à la main, ce qui donne un ensemble de tabeaux animés de toute beauté. La musique, inspirée de chants et airs traditionnels joue aussi un rôle extraordinaire. L'histoire est tirée du roman Les Paysans (Władysław Reymont, polonais, prix Nobel de littérature). La plus belle fille du village, un riche veuf, des mâles convoiteurs... quelque part dans la campagne polonaise à la fin du 19ème siècle ? Ils sont matois, rusés, avides, ils se surveillent, ils se haïssent, ils font des calculs d'alliances et de dots. La jeune fille semble échapper à la médiocrité ambiante, à la glue des calculs et des arrangements. Elle est différente, libre, sublimement belle. Rumeurs, ragots, désirs, convoitises et haines se déploient en 4 saisons sur fond de tradition et de christianisme. C'est envoûtant de rythme, de beauté et d'originalité pour une histoire qui est pourtant prévisible et archétypale, et dont la conclusion est inéluctable. Le film le plus beau et le plus captivant de l'année.

2 Les lueurs d'Aden, Amr Gamal : regard intéressant sur une société maltraitée : Résumé Allociné : Isra’a vit avec son mari Ahmed et ses trois enfants à Aden (Yémen). La guerre civile est à l'arrière plan : contrôles militaires dans les rues, pannes de courant, rationnement de l’eau. Ahmed travaillait pour la télévision, mais de nombreux salaires impayés l'obligent à gagner sa vie comme chauffeur. La vie quotidienne se dégrade (déménager dans un logement moins cher, payer les frais d’inscription d’école). Quand un 4eme enfant s'annonce... Avorter est un parcours du combattant, dans un univers hostile et réprobateur. Même leur amie médecin... Peinture totalement déprimante d'un univers sans issue, sans espoir, sans lumière. Où qu'ils se retournent, c'est bouché et désespérant.

3 L'Homme d'argile, Anaïs Tellenne : le jardinier-homme à tout faire de la propriété (Raphaël Thiery) colosse timide et fruste devient le modèle de la sculptrice branchée. Le temps de son séjour dans la propriété. Muet, maladroit, il tombe affreusement et muettement amoureux de la femme qui ne le voit pas, même si elle l'utilise comme modèle. Touchant. Sensible. Intéressant.

4 Bellissima, Luchino Viscont 1951 : une femme du peuple (Anna Magnani) rêve que sa fille soit la plus belle pour participer à un casting (Shirley Temple) et travailler "dans le cinéma". Tous les efforts et sacrifices financiers qu'elle fait dans ce but. La petite est plutôt désemparée... Au visionnage des rushes, le milieu glousse et se moque de la petite... Beau film puissant (la Magnani ! Visconti !) qui met magnifiquement en scène le désir forcené d'une mère qui veut que sa fille ait une vie meilleure que la sienne.

5 Il reste encore demain, de et avec Paola Cortelesi : la condition féminine dans l'Italie de l'après-guerre. Portrait d'une femme dans sa famille et son quartier populaire (femme battue, courageuse, endurante, résiliente) ... Peinture efficace d'une société et d'une époque de machisme ordinaire. La mère, la fille, côté femmes/ le père, le beau-père,  côté mâles et le ciment de la famille, quoiqu'il arrive. Intéressant, parfois longuet. Mais une bouffée d'air quand on voit comment la société a évolué et à quoi les femmes (pas toutes) finissent par échapper.

 6 Les Carnets de Siegfried, Terence Davies : l'occasion de découvrir l'existence de l'écrivain Siegfried Sassoon (britannique, première moitié 20ème siècle), poète et objecteur de conscience pendant la guerre de 14-18. Pistonné, il échappe au peloton d'exécution et est interné en psychiatrie. Puis le film décrit (trop longuement) sa vie amoureuse (homosexuel victime de la contrainte sociale => mariage). On le retrouve bien plus tard, bien rangé et désenchanté, notamment parce qu'il n' pas vraiment été reconnu comme auteur.) Film classique, bien fait mais trop long.

7 Le Mal n'existe pas, Ryusuke Hamaguchi : Ou comment une communauté villageoise accueille le projet d'un promoteur touristique (installer un glamping en pleine nature, soi-disant respectueux de l'environnement). Les deux sous-fifres d'un côté qui viennent présenter le projet, le village de l'autre, le cynisme du promoteur... et la nature, bien sûr, l'eau, la forêt, la piste des cerfs... Conte écolo, bien fait, bien vu, intelligent, sans aspérité.

La Salle des profs, Ìlker Çatak : une jeune prof éclairée et pleine de bonnes intentions se retrouve au cœur d'un conflit à l'école. Tout dérape fatalement. L'enfer pavé de bonnes intentions.

9 Le Dernier de juifs, Noé Debré : Un fils glandeur, sa mère (Agnès Jaoui) clouée dans son appartement dans un quartier populaire qui se communautarise. Il faut songer à quitter l'appartement... ça se déroule aimablement, les personnages sont sympathiques, quelques anecdotes "en douceur" sur la violence sociale qui reste en arrière -plan, c'est aimable et sensible mais il n'en reste pas grand chose de marquant

10 Nous, les Leroy, Florent Bernard, vu par erreur, parce que des critiques disaient que c'était drôle. C'est lourd, convenu et sans intérêt.


samedi 2 mars 2024

Sans jamais nous connaître /All of Us Strangers

 

Andrew Haigh. C’est l’histoire d’une rencontre improbable entre deux solitudes, quand Adam (Andrew Scott ) finit par ouvrir la porte, non sans réticence, à Harry (Paul Mescal), son seul voisin dans l’immeuble anonyme et désert. Mais c’est dangereux, d’ouvrir la porte. C’est troubler son enveloppe protectrice, accepter l’effraction de sa clôture, de sa solitude et de son intimité : ça ouvre la porte à bien des possibles, y compris l’amour, y compris les fantômes tapis dans le vide de soi et du manque d’amour. Ça fait bouger les lignes. Adam se trouve alors passer une autre porte, en revisitant sa maison d’enfance et ses parents tels qu’ils l’ont laissé quand ils sont morts d’un accident de voiture quand il avait 12 ans.

En renouant avec le cocon protecteur de l’enfance et l’idéal d’intimité et d’amour familial, Adam renoue aussi avec une fraction enfouie de lui-même : la solitude de l’enfant malheureux malgré la chaleur du foyer, malgré l’amour de ses parents. A mesure des échanges avec eux (Adam les tient informés de son évolution et des évolutions de la société) les parents comme l’enfant apparaissent chaleureux, pleins d’amour et d’humanité, dans une communion familiale idéale, ils se parlent et s’acceptent comme jamais. Scénariste solitaire, Adam rôde autour de ses fantômes jusqu’à la scène de la réparation dans le regard des parents. Il finit par verbaliser ce qu’il avait au cœur : la faille ou la déception ou l’incompréhension que sa nature homosexuelle -inavouable- créait dans leur regard. Tellement juste, tellement simple ! Un rêve ! Maintenant, il va lâcher le passé et aller de l’avant avec Harry.

A la frontière entre soi et l’autre, entre rêve et réel, tout est « border » dans cette histoire émouvante : le personnage au bord de la rencontre, le sexe à la limite de l’amour, les fantômes à portée de main. Rien à voir avec la promesse gnangnan de l’annonce « une romance gay entre Paul Mescal et Andrew Scott » qui faisait craindre le pire. Sans laisser soupçonner que « Sans jamais nous connaître » est fantastique, vertigineux de beauté et de tristesse.
Et il y a la B.O  !(Always on my mind (Neil Tennant/ Pet Shop Boys, reprise d’Elvis), Frankie goes to Hollywood (The Power of Love)…

Le film est tiré d’un roman japonais All of us strangers/Présences d’un été (1987) de Taichi Yamada, malheureusement épuisé pour l’instant.

 

jeudi 29 février 2024

La Grâce / Blazh

Ilya Povolovsky

Sans doute le film le plus beau, elliptique, vaste, désespéré, envoûtant depuis longtemps.

 

Question : pourquoi suis-je toujours envoutée par les non-lieux et les films désespérants ? A la manière de Wim Wenders, pour le road movie d'un projectionniste habité par la mort du cinéma, ou de Tarkovski, pour l'errance et l'immensité sans issue (ceci étant un tout petit point de vue en forme d'intuition à peine esquissée et sujette à révision, vu que je n'ai plus revu de films de ces deux là depuis des années) ?

Le road movie, c'est celui d'un père et sa fille dans leur camionnette de projection en train de traverser la Russie des confins ? de nulle part ? d'ailleurs ? En tout cas, à peine ou de très loin celle de Poutine. On est au milieu de nulle part, dans des espaces immenses et des lumières uniques, et ce petit camion bringueballe comme il peut vers le nord, la mer de Barents, paraît-il, tant cet espace est improbable et sans repères. 

Dans le camion, deux taiseux, à peine réunis par le lien ténu de la paternité, un lien qui ne demande qu'à s'étioler, vu l'âge de la jeune fille (je n'ai jamais vu une scène où le thème des premières règles était traité avec tant de pudeur et d'élégance, malgré la relative crudité d'une jeune fille qui se lave dans un ruisseau.) A l'arrière plan l'idée d'une perte, d'un manque, peut-être une mère partie ou morte, je ne sais plus quand ni comment c'est évoqué, ou plus simplement c'est le sentiment du manque que l'existence inflige aux vivants. Bref deux taiseux pérégrinent, et il est vrai qu'il se dégage une âpreté certaine à voir dériver ces deux solitudes, sans l'ombre d'une tendresse. 

Quand un village se profile, c'est à peine un village, plutôt une vague banlieue de vague bourgade, où ils se mettent à installer leur attirail de projection et petits trafics sous le manteau (les VHS porno sont très convoitées). Il s'en dégage une ambiance sinistre de fin de fête foraine, la déprimante sensation que ce qui pourrait une fête n'est que l'agrégation, l'espace d'une représentation, et pour d'obscures motivations de gens dont la principale raison d'être là est le vide abyssal de leur vie.

C'est ici qu'entre en scène le gamin fou d'ennui, qui ne peut que tomber sous le charme de la jeune fille (Maria Lukyanova - une beauté botticcellienne invraisemblable dans cet univers) et sous le charme de l'ailleurs qu'inspire le voyage des "saltimbanques". Quand ceux-ci s'enfuient précipitamment (les VHS porno ont attiré sur eux la haine des villageois), le gamin à leurs trousses, la fin de l'histoire commence, le père et la fille chacun de leur côté arrivent au bout de nulle part, c'est à dire au bout de leur pérégrination commune, dans une étrange station météo à peu près désaffectée et dans un  paysage non moins étrange et sublime de roches et d'eau. 

Qu'est-ce qui s'est passé ? Du sexe, sans doute, du sexe sans plus, du temps surtout et l'arrivée au bout d'un cycle avec l'idée que les dés vont rouler ailleurs, les cartes battre autrement pour narguer le triomphe du néant.

J'ai lu quelque part (Le Bleu du miroir : https://www.lebleudumiroir.fr/critique-la-grace/) que la Grâce est la traduction du russe « Blazh » : "Pour le cinéaste, La Grâce, occulte « la nuance ironique de lubie, pas forcément la folie mais une certaine forme de bizarrerie mâtinée d’élan spirituel, de sainteté, de sincérité… » présente dans le titre original. " Ça doit être pour ça que j'avais envie de penser à Tarkovski.

La Bête, Sleep, A Man

 Vu des films intéressants, mais la flemme de faire l'effort d'en parler :

La Bête, Bertrand Bonello : les émotions humaines sont à proscrire, il faut en purifier l'ADN, donc revenir à leur source dans le passé. Le propos est complexe, mais la valse est bien menée dans les méandres et recoupements passé, présent, futur. Lea Seydoux est comme d'habitude captivante et magnifique, avec George MacKay assez addictif lui aussi.

Sleep, Jason Yu, sud-coréen : intéressante histoire de couple et de somnambulisme. Je ne sais pas/veux pas en parler pour ne pas spoiler, mais l'irruption d'un certain fantastique dans l'histoire est habilement menée. C'est prenant, ça vaut d'être vu.

A Man, Kei Ishikawa, Japon : une veuve rencontre un homme, ils se marient... Je n'en dis pas plus, il faut découvrir ce qui conduira à mener une enquête sur cet homme, et ce qui fait l'homme. Intéressante histoire sur l'identité, la transmission et la filiation, et l'enquête tient en haleine. A voir

mercredi 28 février 2024

Bye bye Tibériade

 Lina Soualem. C'est un film plein d'humanité et de grâce qui raconte les strates, échos et  retentissements du déracinement à travers 4 générations de femmes d'une famille palestinienne de Tiberaya. C'est Hiam Abbas, actrice et mère de la réalisatrice, le pivot de l'histoire. Née et élevée avec ses  (frères?) et 7 sœurs, elle raconte la richesse et la complexité de la vie familiale en Palestine, l'arrachement de 1948, quand les Palestiniens sont chassés de chez eux, la vie qui se reconstruit 30km plus loin, la force de sa mère, institutrice, couturière, 10 enfants, et son propre désir d'émancipation et de modernité car elle étouffe dans son milieu et "trahit" en partant étudier la photo à Haifa avant de devenir actrice internationale. 30 ans après, c'est à sa fille Lina qu'il revient de rassembler le puzzle, retisser la mémoire/les liens de la famille éclatée en revenant sur les lieux d'origine avec sa caméra et sa mère : écrits, témoignages, films de famille, images d'archives, photos font un film très touchant, pudique et sensible avec des femmes intelligentes, attachantes et pleines d'humour.


mardi 27 février 2024

Walk up

Hong Sang-Soo. J'ai lu toutes les bonnes raisons qu'il y a d'aimer ce film en forme de songe, qui épouse les étages d'un immeuble : à mesure que le film évolue, le personnage du réalisateur change d'étage, à mesure qu'il s'élève, il se déglingue et s'englue dans des tranches de vie "normale" : on mange, on boit, on parle, on baise (suggéré), on rêve d'ailleurs et de futurs films à réaliser, non sans subir les intrusions de la logeuse et les désagréments d'un espace qui lui aussi se dégrade. Hong Sang-Soo essaie des configurations possibles selon  les protagonistes et les étages, il nous égare un peu, et nous ennuie aussi un peu. On suppose qu'il y a une sorte de passage à vide du réalisateur qui se déglingue et s'éteint, ça déteint sur son personnage. C'est comme si tout rétrécissait, dans un huis clos joli à regarder, légèrement claustrophobant, avec un noir et blanc élégant et soyeux, pas sans charme, mais bon...

samedi 10 février 2024

Mark Rothko à la Fondation LVMH


Présence puissante et subtile, vibration essentielle, lumineuse abstraction. Subtilement tellurique ou cosmique. Dire l'indicible au-delà du paysage intérieur, franchir ce qui reste opaque.

Hum. Je cherche les mots qui vont avec cette expérience (magnifique et géniale, hors du commun...) Tout ça pour essayer de faire le tour d'impressions visuelles suscitées par Mark Rothko. Ce qui me frappe, c'est la constance, la profondeur, la logique de sa quête, au bord de l'abstraction, à la limite de l'épure, d'une étrange et captivante force poétique. Ses peintures exercent un étrange pouvoir, elles aimantent ou alimentent quelque chose d'inconnu ou d'indicible au profond de soi.

Donc, cette expo m'a énormément plu et touchée, alors que j'y allais bardée de préjugés sur "des a-plats faciles, le b-a ba de l'abstraction". Merci la Fondation LVHM, merci d'offrir cette magistrale exposition du génie d'un peintre. Encore une exposition exceptionnelle dans un espace exceptionnel.

https://www.fondationlouisvuitton.fr/fr/evenements/mark-rothko

mardi 6 février 2024

La Zone d'intérêt

Jonathan Glazer. Attention, je raconte le film

En introduction, il y a ce qu'on ne voit pas - ce qu'on ne peut pas montrer - 3 minutes d'écran noir et une musique discordante. Puis ce qu'on voit : la villa et le jardin de la famille Höss, une rivière charmante pour la baignade et le kayak, accessoirement le portail entrevu et le mur d'enceinte du camp que dirige le mari, des cheminées qui dépassent. On est dans la  "zone d’intérêt" - InteressenGebiet en allemand - soit 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d’Auschwitz en Pologne.

Derrière l'image, il y a un fond sonore : turbine/usine/ four crématoire, coups de feu, sifflets des locomotives, bruit de trains, ordres, aboiements, tout ce qui devrait alerter. Mais ça n'alerte personne. C'est probablement ça, la zone d'intérêt du film, l'écart entre ce qu'on voit (une vie bourgeoise parfaitement normale - sans intérêt)  et ce qu'on ne voit pas, la zone grise de l'anormal, l'innommable, l'in-montrable de l'autre côté du mur. Ça devrait alerter mais ça arrive à peine à la conscience. Est-ce à dire que le spectateur aussi s'habitue ? Focalisé sur le livre d'images de la famille allemande parfaite, il en oublierait "la zone d'intérêt", happé par la description clinique du quotidien banal, tiré au cordeau par une maîtresse femme qui veille à ce que tout soit parfait. Les espaces de la maison, les bonnes, le jardin, la piscine, la sociabilité, les temps de la journée... tout est en ordre malgré quelques séquences glaçantes qui s'invitent, comme en passant : l'irruption de quelques dents ou os, de la cendre pour enrichir la terre, la répartition des effets spoliés (lingerie pour les bonnes -1 pièce par personne, précise la patronne, à elle le vison)... Rien qui puisse troubler l'ordre familial, même pas, anecdotiquement, la scène furtive où le mari tire un coup vite fait (avec une bonne ?). Le seul émoi de l'antipathique Hedwig Höss, indifférente à ce qui n'est pas son bien-être matériel, sa seule indignation, c'est l'annonce de la mutation du mari qui doit arracher la famille à son merveilleux nid.

Les images se succèdent et c'est affreux à dire, on s'ennuie un peu (est-ce à dire qu'on perd de vue le fond du problème/ la zone d'intérêt ?) Pire, survient une scène étrange (comme un rêve en caméra thermique ?) où une jeune fille cache des pommes sur les lieux de travail des détenus. C'est quoi, ces images absurdes dans ce contexte ? C'est un message ? Qu'il y a peut-être eu de gens compatissants mais on ne sait pas qui ni où ? Ou qu'il aurait dû y avoir ? 

On suit Rudolf Höss promu à Berlin pour améliorer le rendement de son travail. En regard de l'exposé clinique de la famille allemande parfaite, il y a l'exposé clinique de la machinerie exterminatrice. La réalité du massacre à l'arrière-plan n'est guère plus qu'un calcul comptable appuyé par l'expérience. Höss expose à l'état-major ses dispositions pour améliorer le rendement : il est l'homme de la situation. Foin des ors et décors de l'administration berlinoise, Höss pourra retourner à Auschwitz mettre en pratique (et retrouver sa délicieuse famille). Et là aussi, bizarrement, le réalisateur invente une étrange séquence : c'est l'interminable descente le l'escalier (aux enfers ?), où Höss pris de malaise vomit ses tripes. Comme s'il avait soudain une conscience ? Ou comme ça serait s'il en avait une.

La dernière scène est bizarre aussi. Ça se passe aujourd'hui dans le mémorial d'Auschwitz : une femme de ménage balaie (longuement) une salle du crématoire. Et la caméra filme des vitrines remplies d'effets des victimes. C'est quoi, ça ? Un message pour alerter, après la banalité du Mal, sur la banalité de l'horreur dont on ne peut pas mieux faire qu'un musée ?

Ce film est déroutant : il fait regarder ce nazi et sa famille avec horreur, mais...

mercredi 31 janvier 2024

Iron claw

Sean Durkin. L'histoire des frères Von Erich, stars du catch professionnel des années 70-80. C'est riche, compliqué, impitoyable, trop humain. Les frères, 4 au départ (et même 5 à l'origine) évoluent sous la férule impitoyable de leur père, façon sergent instructeur, qui a  raté je ne sais quel titre dans sa carrière,  malgré sa prise imparable et très spéciale "iron claw". Il le fera payer à ses fils en les entraînant à la dure, impitoyablement soumis à l'injonction de réussir ce que leur père a raté. Ça se passe au Texas, c'est hyper viril et testéronné, discipline militaire, soumission idem. C'est le gagne-pain de la famille. La mère, hypercroyante, à la fois forte et transparente est là pour les nourrir, mais pas les protéger. Dieu y pourvoiera, du haut de son immense amour. Sauf que Dieu a des éclipses et les frères vont aller de tragédie en tragédie, poursuivis qu'ils sont par la "malédiction". Ils s'en tirent par la fraternité : ils sont incroyablement soudés et loyaux l'un à l'autre,  malgré ou grâce à l'éducation de leur père toxique qui ne les voit qu'à travers ce qu'ils représentent dans le catch. (Ou la lutte? Je devrais me renseigner sur les rapports entre les deux). C'est riche et complexe, ça mérite vraiment d'être vu. Une belle bonne tranche d'humain bien saignante. Les amateurs de catch doivent voir en plus un tas de trucs qui m'échappent. 

mardi 30 janvier 2024

Les Chambres rouges

 A éviter. Est-ce un mauvais film ou simplement un film artificiel et prétentieux avec plein de passages inutiles (pour meubler ? Pour parfaire le portrait de la Parfaite ?) Cette femme un peu mystérieuse avec ses airs hautains de top-model et ses talents de hackeuse, joueuse en ligne et navigatrice du web, y compris dark, on se dit bien vite qu'elle a  quelque chose derrière la tête, à assister au procès d'un tueur en série psychopathe, vendeur sur le dark web  de ses films d'horreur sadique sexuelle. Cest ça,  les chambres rouges : des espaces très cryptés sur le web pour visionner ce genre de choses. S'ensuit ce qui doit s'ensuivre, avec une relative ambiguïté sur les buts poursuivis par la hackeuse. Bref, cest trop long et très inutile. On s'ennuie. Et on se demande à quoi sert le personnage de la groupie du tueur, persuadée qu'il est innocent et victime d'un méchant complot, et que la Parfaite prend provisoirement sous son aile.

lundi 29 janvier 2024

May December



Todd Haynes. L'actrice Elizabeth (N.Portman) va interpréter le rôle de Gracie (Julianne Moore), la femme du scandale d'autrefois (relation sexuelle avec un mineur qu'elle a épousé après avoir fait de la prison et avoir accouché en prison). En arrivant chez Gracie pour nourrir son personnage, que cherche-t-elle ? Du croustillant ? Du trash ? Hélas, elle tombe sur une femme équilibrée et mère épanouie (Julianne Moore). La force de Gracie, c'est une forme de naïveté et l'authenticité de celle qui ne doute pas. De son amour, de son couple, de sa vie. Du barbecue aux saucisses le dimanche entre amis. La faiblesse de l'actrice, c'est qu'elle n'a rien de tout ça. Elle va donc essayer de comprendre cette histoire à l'aune de ses propres critères pour débusquer ce qui pourrait clocher sous le vernis (la fidélité du jeune mari ? Une forme de prédation à l'origine du couple ? Une lassitude de l'homme jeune encoconné 20 ans plus tôt et qui aimerait peut-être devenir papillon ?) Bref elle entre dans la peau d'une Gracie fantasmée en femelle prédatrice (vs femme murissante follement amoureuse) et vampirise Gracie pour composer un personnage différent, plus proche d'elle-même que de Gracie. La scène finale filme le résultat : le tournage de la scène de séduction du gamin montre une Gracie/Elizabeth plus perverse et prédatrice qu'amoureuse, plus Elizabeth que Gracie. Gracie est trahie (encore une fois). Elle aurait dû se méfier en voyant Elizabeth arriver en même temps qu'un colis de merde sur son paillasson, et en la trouvant plus petite qu'à l'écran.

Tout cela est louable, la critique s'enthousiasme de l'exceptionnelle performance des actrices (même si N. Portman en fait trop), mais ça reste un peu fastidieux pour ne pas dire chiant. Peut-être que si le film n'avait pas été précédé d'un tel concert de louanges, j'aurais mieux apprécié ?

mercredi 17 janvier 2024

Poor Things, Pauvres créatures

 Yórgos Lánthimos. Par chance je n'avais rien lu susceptible de spoiler l'intrigue, jai donc découvert cette histoire folle sans savoir du tout à quoi m'attendre et ça n'en a été que plus plaisant de savourer cette avalanche de rebondissements. (Quoiqu'un peu trop gore au debut). C'est un film d'apprentissage, où une jeune femme née du désir d'expérimentation de son créateur - elle l'appelle God - se construit sans interdit et sans complexe, libérée des exigences de la pensée et morale dominantes. C'est un plaisir foisonnant d'images, de rebondisssements et de décors ébouriffants. C’est drôle, irrévérencieux et tonitruant,  d'un mauvais goût absolu et réjouissant, plein de pieds de nez à l'outrecuidance masculine et aux clichés sur le sexe et la femme. Ni le genre humain ni l'homme n'en sortent grandis, pauvres créatures. 

dimanche 14 janvier 2024

Priscilla

Sofia Coppola. Priscilla était elle sous emprise ? Tombée à 14 ans sous le charme d'Elvis, un vertige, un rêve, un ravissement... c'est elle qui a le Graal, pendant que les groupies attendent dehors. Mais n'est-ce pas une baby-doll que Presley s'est offerte pour jouer à la maison, tandis que sa vraie vie est ailleurs. La prisonnière de Graceland tourne en rond et s'ennuie dans un décor somptueusement hideux. Et le Graal finit par révéler son vide, vide qu'elle n'arrive même pas à combler tellement il ne la voit pas. C'est son épouse-et-mère point final. Comme un ancrage nécessaire et transparent. Ce n'est pas déplaisant de déambuler avec Priscilla dans ce vide spectaculaire, décor, coiffures, costumes, tout est parfait, mais quel vide, quel ennui, quelle tristesse.


vendredi 12 janvier 2024

Perfect days etc


Wim Wenders, Perfect days : le sage des toilettes ou l'humanité d'un personnage éveillé à lui-même et à la vie. Une histoire de pleine conscience appliquée à toutes les dimensions de sa vie : son métier de nettoyeur de chiottes en deviendrait presque poétique, élevé au niveau d'un artisanat du geste bien fait et du travail bien accompli. (On comprend pourquoi les toilettes sont si géniales au Japon.) Il ne se passe rien que le quotidien, jour après jour, du réveil au coucher, comme un rituel où s'égrènent petit déjeuner, soin des plantes, départ au boulot, pressing, repas, bain public, lecture, musique (que du bon, et en cassette, il ignore les technologies qui le brancheraient sur le bruit du monde), photo (en argentique) et quelques irruptions de l'autre qui intègre (ou effleure ?) sans le déranger son univers ordonné. Aimable tranche de "fil du temps". 

Past lives, Celine Song : Nora et Hae Sung, coréens, une douzaine d'années, et un très fort lien d'amitié. Ou d'amour d'enfance. La famille de Nora émigre au Canada. A 20 ans, le hasard (facebook) les reconnecte, brièvement. A 30 ans, ils se retrouvent, adultes, confrontés à ce qu’ils sont devenus et ce qu'ils auraient pu devenir s'ils avaient continué à grandir ensemble. Pourquoi pas. Tout ça reste léger (ou subtil) comme l'esquisse de ce qui aurait pu être ou ne pas être. Le fil ténu du hasard ou de la nécessité. 

Winter break, Alexander Payne. Aimable réflexion sur trois solitudes dans un collège américain au moment de Noël. Un élève,  un professeur, la cantinière. Rien de très nouveau, mais une certaine grâce à harmoniser les détresses de ces trois là.

vendredi 5 janvier 2024

L'Innocence / Monster

Hirokazu Kore-eda. Encore une bizarrerie de traduction du titre (monster en japonais et en anglais). L'innocence est une mauvaise idée, puisqu'il est surtout question de monstres (et éventuellement d'innocence), mais qu'ils ne sont pas forcément là où on les attend. Kore-eda nous emmène sur des fausses pistes au fil de trois narrations, dégommant au passage certaines monstruosités (notamment la couardise et l'hypocrisie du système éducatif -directrice en tête-  face à un possible scandale, la violence d'un père abusif...). Il y a le regard de la mère protectrice sur son fils chéri,  puis le regard du professeur sur ses élèves. Le dénouement, c'est quand les regards se mettent à leur juste hateur, celle des deux "monstres" : la troisième narration réajuste et revisite correctement qui a été montré auparavant. Belle histoire intelligente, peut-être un peu trop cérébrale.