jeudi 16 juin 2022

La Maman et la putain

Jean Eustache. 1973. J'ai longtemps entendu parler de ce film culte sans l'avoir jamais vu, j'y suis allée avec méfiance. J'ai été agréablement surprise : le film n'a pas vieilli même s'il évoque un univers révolu post soixante-huitard et féministe. Un film moderne qui capte les tics et ressorts de l'époque à travers la vision du monde décalée d'un jeune dandy désengagé (Alexandre = Jean-Pierre Léaud), ennemi du salariat et résistant à la récupération. C'est donc un jeune homme très occupé à ne rien faire (peut-être qu'il écrit vaguement), à traîner sa nonchalance dans les cafés branchés de Saint-Germain et à tomber amoureux, ou plutôt poursuivre une idée du désir, alors qu'il vit avec une femme, ou plutôt chez elle (Bernadette Lafont). 

Spécialiste des relations décousues, qui s'arrêtent, reprennent ou continuent on ne sait pas trop pourquoi, Alexandre surfe sur l'air du temps au fil de rencontres de café, rendez-vous évasifs entre jeunes gens qui seront peut-être là, ou peut-être pas, refusant toute idée de collage, de lourdeur, fuyant le prévisible et le convenu. Gilberte, Marie, Veronika... Au fil de dialogues apparemment à bâtons rompus - il paraît que c'était ciselé à la virgule près - il est question de liberté sexuelle, émancipation des femmes, avortement, on capte l'air du temps, le sens du dérisoire et de la mise à distance. Même si "amour" finit par pointer son nez avec l'envie de rimer avec toujours. Le trio Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Françoise Lebrun est épatant. (Même JP Léaud est convaincant dans son "insoutenable légèreté de l'être").

Men

 

Alex Garland. Classé dans Epouvante/horreur, c'est plutôt sophistiqué et angoissant (même si 2 ou 3 scènes "gore"). Une jeune femme, Harper (Jessie Buckley) part se réfugier dans une belle demeure de la campagne anglaise pour se ressourcer après un drame personnel, sauf que tout a l'air un peu bizarre dès le début, et pas très rassurant : le propriétaire (Rory Kinnear), la promenade dans les environs, cette apparition bizarre dans les bois, le policier, le pasteur, le gamin... (auxquels Rory Kinnear prête son visage : c'est bluffant). Tandis que la tension monte - d'autant plus qu'elle est en butte au machisme ambiant face à une femme seule, séparée, isolée - les souvenirs du traumatisme qui hante Harper refont surface. Tout en interrogeant la violence du rapport homme/femme, le film laisse planer le doute sur une bonne partie du film. Est-ce que la situation est réellement anxyogène, ou bien c'est Harper qui se fait un film ?  Le final est étrange et saisissant (et gore).

mercredi 8 juin 2022

Frère et sœur

 

Arnaud Desplechin. Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard). Deux pôles antagoniste, deux blocs de haine irréductible, dont on ne saisit pas vraiment les ressorts (jalousie d'enfance ? des choses que Louis aurait révélées dans ses livres ?)  Rien n'est jamais très clair dans les relations familiales, il y a même un psy dans le scénario, histoire de rappeler que tout ça se noue loin dans l'enfance ; d'ailleurs, c'est l'accident des parents qui va attirer-repousser le frère et la sœur à l'hôpital. S'ensuit un  ballet d'évitements, souvenirs, syncopes, flash-back, d'excès alcoolique, psychotropique ou médicamenteux, ... Le film juxtapose de belles scènes/tranches de vie (notamment les scènes avec la merveilleuse Golshifteh Farahani), mais le "décousu" fait qu'on reste un spectateur vaguement perplexe devant cette surenchère enfantine à rester le gagnant de la haine la plus tenace et inextinguible. Comme si, à leur âge, ils avaient gardé leur âme/haine d'enfant. Ou alors c'est parce qu'ils sont tous les deux des artistes (de ces gens qui ne se plient pas au sens commun). Sur le coup, c'est long et un peu chiant, on se dit que leurs egos hypertrophiés ne méritent pas ces excès d'attention. Après coup, il reste les beaux acteurs, de belles séquences et quelques étranges scènes paroxystiques.

jeudi 2 juin 2022

La Ruche

 Portrait de  Fahrije, une femme libre dans un monde clos. Ça se passe après les guerres balkaniques (Kosovo / Serbie-Montenegro) la moitié des hommes de ce village kosovar a disparu, exterminés par les Serbes, sans qu'on ait retrouvé les corps de bon nombre d'entre eux. Mais le monde continue comme avant et la survie, comme on peut : les hommes au café, les femmes à la maison, même si les hommes qui subvenaient aux besoins de leurs familles ont disparu. Malheur à celle qui va braver l'ordre ancestral, passer son permis de conduire, et monter une entreprise artisanale de conserves d'ajvar (une sorte de coulis de poivrons). Le film raconte le combat Fahrije pour survivre dans un environnement hostile, où les autres femmes n'osent pas ce qu'elle ose : travailler hors de la maison, ou plutôt faire sortir de la maison le seul travail que ces femmes sachent faire : la cuisine. L'abeille industrieuse  gagne peu à peu l'adhésion d'autres abeilles du village... C'est une histoire vraie, c'est un film dense, dur, sobre et puissant.

Murina

Antoneta Alamat Kusijanovic. La mer, la plongée, la pêche à la murène, le soleil, une magnifique jeune fille, l'emprise du père, Ante, qui ordonne et régente le monde autour de lui : un caillou rocheux, potentiel paradis touristique si investisseur... En l'occurrence, Javier, un ami d'enfance, qui débarque auréolé de sa richesse, sa puissance, et "l'ailleurs" qu'il incarne. Son arrivée sème le trouble dans cet univers contraint. Il ranime l'idée, ou le souvenir du désir (il a été amoureux de la mère), et trouble la jeune fille en suscitant l'idée d'un autre monde, une autre vie, un autre ordre (ou désordre) possible, un monde affranchi du père. C'est sculpté à la perfection : la perfection des corps, leur proximité dangereuse, et l'impression de progresser  à la limite du supportable : l'emprise du père, l'enfermement physique et moral, le sentiment permanent d'une catastrophe imminente.

Birds of America/Les Oiseaux d'Amérique

Jacques Lœuille. Le Mississipi dans la 1ère moitié du 19° siècle et le foisonnement d'oiseaux dont il était peuplé. Jean-Jacques Audubon  a publié le résultat de ses observations en 4 volumes entre 1827 et 1838,  Birds of America : 435 planches d’un format de 1 mètre sur 75 centimètres, gravées sur cuivre et coloriées à la main, 1065 oiseaux représentés grandeur nature, appartenant à 489 espèces. C'est un éblouissant témoignage et hommage à l'incommensurable splendeur de la nature et de la biodiversité. En parallèle, le Mississipi d'aujourd'hui après les ravages successifs des plantations ( déforestation) puis ceux des industries du pétrole... Les images et témoignages du présent sont désespérants : une foultitude d'espèces ont disparu, tout comme ont disparu une foultitude de nations indiennes, tandis que les populations riveraines subissent la pollution ambiante. Un beau documentaire poignant, encore un coup d'épée dans l'eau pour dénoncer la puissance dévastatrice de l'activité humaine hors de contôle.https://dai.ly/x8b8157https://dai.ly/x8b8157