dimanche 4 septembre 2011

Les plages de Fellini


J'aime les films qui parlent de dévastation. Stalker est mon préféré. Le Sacrifice et Le 7ème Sceau figurent aussi en bonne place. Même chez Fellini, ce que je préfère, plus que l'extravagance chic, plus que les morceaux de bravoure, c'est la désolation, les terrains vagues, les non lieux, les fresques dissoutes. Peut-être parce que Fellini filmait aussi la nostalgie des choses disparues, le cinéma dans les patelins, les saltimbanques, la tristesse des cabarets et celle des hommes solitaires, les agonies dans le petit matin, et le mystère des grosses femmes de son enfance posées sur la plage comme d'extravagants Ovni, recelant des secrets. Qu'est-ce qu'elles disent, ces plages de Fellini ? La fascination pour le non-lieu et le non avenu, l'étrange et l'extraordinaire. Ces chairs sont d'une exubérance sans joie, l'exubérance de l'excès et du débordement. Elles parlent de l'existence massive, de l'être dans sa chair, de l'esprit débordé par la chair, de la matérialité exacerbée de la chair et de la puissance du corps passif et glouton, empâté et empêtré dans des sensations qui ont mis l'esprit en déroute.

Mais la chair exubérante n'est pas que celle des monstres. C'est aussi Anita Ekberg et la fascination qu'inspire un corps parfaitement occupé, le triomphe de mamelles opulentes surmonté d'un visage rayonnant. La beauté femelle et l'affichage sexuel... C'est le charme de Fellini, cette faculté d'enchaîner les hypothèses, cette glissade d'une anecdote à l'autre dans une journée oisive où le héros est confronté aux farces et aux frasques du quotidien. Fellini rebondit sur la densité joyeuse, élastique, généreuse d'Anita Ekberg qui le renvoie à d'autres chairs massives, immuables, c'est l'instant Ekberg contre l'éternité de mammas placidement obèses.

C’est la chair qui est forte, la chair qui mange et boit et dort … et l’esprit qui est faible, hélas. C’est toujours la chair qui gagne, et l’esprit penaud assiste à sa débâcle, tout piteux dans son coin, submergé par le déferlement de la gloutonnerie, de la paresse, de la force des choses …. D’ailleurs, à la fin, la chair gagne encore : quand le corps meurt, la chair continue à vivre en pourrissant et générant larves et vers, tandis que l’esprit est bel et bien muet, à supposer qu’il soit quelque part.


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