dimanche 11 septembre 2011

Tarkovski

Je n'avais pas vu de film de Tarkovski depuis 20 ? 30 ans ? quand j'ai écrit ça, et de toute façon, je serais bien en peine d'en fournir une analyse. Mais je retiens l'état de choc dans lequel ses films m'ont plongée. Sauf Nostalghia, qui m'avait plongée dans un profond ennui, à l'époque, et j'avais décrété qu'il était impossible de livrer son âme impunément à chaque coup et que Tarkovski était bien obligé de rater un film pour avoir le temps de se recomposer. Drôle de discours, puisqu'entretemps, j'ai revu Nostalghia et je l'ai trouvé sublime.
Le premier choc, ça a été Andrei Roublev, je me souviens que je n'ai pas bien compris, mais j'avais quand même été saisie aux cheveux, raptée, mise hors de moi et en même temps proche d'un moi intime, inconnu, sous-jacent, bref, il m'apparaissait que Tarkovski s'occupait de choses essentielles comme le sens de l'homme, des nuages, du fil de l'eau, du son des cloches et de la quête solitaire. J'étais donc suspendue en état de grâce, mélange de clairvoyance et d'opacité, aveuglée par la lumière tarkovskienne (euh, là, la passion m'emporte, mais il est vrai que ce film m'a fait le choc d'une révélation, sans que j'arrive à mesurer ce que ça révélait exactement, sinon des images, ce qui après tout, n'est pas si mal pour un film) dans un monde dont les tenants et aboutissants m'échappaient mais qui me parlait intensément de ce qui doit s'agiter dans les tréfonds de l'âme humaine. C'était une histoire de moine et de quête, ce qui en somme va de soi, d'images du ciel au printemps, avec le caractère intense et primesautier (mais si, là, exceptionnellement, ça peut aller ensemble) de ce genre de ciel, toujours prêt à basculer d'une humeur et d'une couleur à l'autre, le printemps allant avec la fête de la naissance de la cloche, car une cloche finissait par naître, extraite d'une gangue de glaise, et c'était un suspense fou, et l'apothéose du film et de la quête du moine, - est-ce qu'il était fou, ou seulement intransigeant ?- et une foule nombreuse attendait et redoutait le miracle du son; et puis il y avait des rivières, ou même un fleuve, parce qu'en Russie, tout est fluvial, et tout ça parlait de l'âme, et pire encore, de l'âme russe, ce qui rend l'âme encore plus fluviale, nécessaire et contagieuse.
Et voilà, ce film inquiétant se jouait tout du long "sur le fil ", par là, j'entends qu'on avait toujours le sentiment d'une catastrophe imminente, et parlait de la complexité et de la versatilité des choses, de l'âme, de l'homme, de la profondeur et de l'évanescence.
Après, toujours dans la catégorie du bouleversement absolu, il y a eu Stalker, mais il est encore plus difficile de parler de Stalker, je suppose que ce film se passe après la catastrophe qui a cessé d'être imminente. Il est toujours question de quête; mais là, c'est encore plus obscur, ça se passe dans des non paysages, des non couleurs et des non lieux, avec ces gens qui échangeaient certainement des propos profonds, et obscurs, cela va de soi. Eh bien, loin d'être rebutée par toutes ces difficultés, je me suis vue encore une fois, subjuguée, "sur le fil", vivant et vibrant avec ces étranges personnages qui suivaient un étrange parcours.
Le troisième choc, c'est le Sacrifice, bien sûr, qui récapitule les obsessions du maître : la catastrophe est toujours dans les parages, mais cette fois, il y a un deal avec la peur viscérale, animale et brutale, la culpabilité, l'innocence, et toujours les images, c'est le film testament qui une fois de plus attrapait le spectateur par les pans de l'âme, l'irradiait de concepts sombres et lumineux autour du sens obscur de la vie, pour le relâcher ensuite, légèrement démantelé, dans la médiocrité du quotidien.
Je devrais peut-être en revoir un ou deux, pour voir. Ou mieux vaut pas ?

1 commentaire:

  1. Avec quelques métros de retard, je découvre qu'Emmanuel Carrère, dont je dévore l'excellent Limonov, est un fin connaisseur et admirateur de Tarkovski, et je vois très bien ce qu'il veut dire quand il écrit, à propos de l'homme "cette vache sacrée de la culture : sa gravité imperméable à toute espèce d'humour, sa spiritualité compassée, ses plans contemplatifs immanquablement accompagnés de cantates de Bach..."
    Allez, vite, un film de Tarkovski, n'importe lequel. J'y cours.

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