vendredi 30 décembre 2022

Godland

Hlynur Pálmason. Que c'est âpre et sauvage, que ce pasteur est inadapté et inapproprié dans cette nature puissante, inhumaine, étrangère à la petitesse de l'homme. Pour s'y risquer, il faut suivre et écouter ceux qui savent. Mais il est bien décidé, le petit pasteur, bardé de certitude et de matériel photo, bien décidé à prendre possession des paysages et des âmes, habité par Dieu ? par sa mission ? aveuglé par son orgueil, sa prétention à être plus fort que l'adversité, la nature et ces bouseux islandais... Et il finit par y arriver, à sa mission, sans même savoir comment, uniquement grâce à ses guides qui l'ont sauvé. Il a beau prendre des photos, il n'écoute pas et il ne voit pas, il ne sait pas, il ne sent pas où est sa place. Tout le dépasse : ces rudes islandais sont dans leur élément, pas lui, les chevaux, les poules, les villageois, tout est à sa place, pas lui, le petit pasteur qui vacille de désir pendant que l'église se construit et dont on se demande ce qu'il en est de sa foi. Le père des filles le sent ou le sait, Ragnar le taiseux le sent ou le sait aussi, tandis que l'hostilité latente entre Lucas le pasteur et le rugueux Ragnar cristallise peu à peu et finit par éclater pour une histoire de photo, justement, quand Lucas refuse avec une arrogance et une violence inouïes de prendre en photo ce bouseux... Lutte des classes sournoise entre le colon danois, maître à penser et à prier et le paysan-pêcheur islandais qui n'a pour maître que la nature et la puissance des éléments. Et le petit pasteur perd les pédales, de même qu'on se demande s'il n'a pas aussi perdu la foi. Ce beau film quasiment muet, spectaculaire et sauvage est sombrement, âprement beau et contemplatif ? (un peu long, 2h28 !) même si la somptueuse nature islandaise le mérite, même si elle crève l'écran 

Ecran large : https://www.ecranlarge.com/films/critique/1460343-godland-critique-a-couper-le-souffle

et aussi : http://www.lebleudumiroir.fr/critique-godland-film/

PS : le film doit avoir encore plus de saveur pour ceux qui parlent le danois et l'islandais, puisqu'il semble y avoir tout un débat sur la langue dominante et les interférences entre les locuteurs des deux langues. Cf le double titre en danois et en islandais : Vanskabte Land - Volaða Land<=> pays déformé/malformé. Apparemment, pas de dieu dans le titre original.

Films fin 2022

L'Ombre de Goya : très beau documentaire sur Goya, par Jean-Claude Carrière

Babi Yar, contexte : la shoah par balles (Ukraine/Kiev) https://fr.wikipedia.org/wiki/Babi_Yar._Contexte

EO /Hi-Han : polono-italien réalisé par Jerzy Skolimowski. L'horrifique histoire d'un petit âne qui regarde le monde à hauteur d'âne et navigue de misère en maltraitance au gré du destin que lui réservent les humains. C'est beau et poignant, la vision atroce du monde où nous vivons (deshumanisation, exploitation animale, violence, cruauté, mondialisation...) sans être jamais donneur de leçon. C'est juste le regard innocent d'un âne sur le monde qu'il traverse

Les Bonnes étoiles, Hirokazu Kore-eda : ou comment réaliser un aimable film sur l'abandon et le trafic d'enfant. Une ravissante prostituée abandonne son bébé tandis que la police enquête pour mettre la main sur une bande de trafiquants d'enfants. Mais la charmante prostituée n'arrive pas vraiment à se séparer de l'enfant, les trafiquants sont affectueux et sympathiques et au gré des péripéties, tout ce monde en viendrait à former une famille recomposée d'excellente facture... C'est un film charmant et plein d'humanité qui interroge sur le lien familial.

Corsage, Marie Kreutzer : quand Sissi n'est plus Romy (Schneider), mais Vicky (Krieps), le voile niaiseux est levé, on rencontre une femme prisonnière du carcan de la cour et du fameux corset dans lequel les femmes sanglent leurs corps et leurs aspirations. Vicky Krieps est impériale dans ce job de femme contrainte et dépressive. Mais on voit surtout, beaucoup, une femme enfermée en elle-même. Derrière les contraintes qui l'étouffent et la brident, on ne voit pas grand chose de sa personnalité. On voit une femme qui souffre, étouffe, déprime mais rien d'autre que l'envie de fuir, s'enfuir, disparaître. Donc, le film laisse vaguement désappointé.

Vivre, Oliver Hermanus : l'acteur Bill Nighy est Mr Williams, ce qui donne la moitié de sa saveur au film, l'autre moitié vient des décors, lumières, reconstitution historique de l'ambiance britannique et londonienne des années 50. Après... c'est un peu mince même si c'est très élégant, ce vieux monsieur qui s'aperçoit qu'il a mené une vie de m... engoncé dans la pire routine d'une bureaucratie administrative. Mr Wakeling, nouveau venu dans l'administration, ainsi qu'une charmante jeune femme qui ne va pas faire de vieux os dans cet univers mortifère sont témoins ou confidents de l'étrange métamorphose de Mr Williams. Tout est juste, délicat, subtil, raffiné, mais...

L'Innocent, Louis Garrel : divertissement (maman va épouser le repris de justice qu'elle visitait en prison. Le fils va s'en mêler etc.)

Le Parfum vert, Nicolas Pariser (avec Sandrine Kiberlain, Vincent Lacoste...) Plein de références (notamment à Tintin) et de rebondissements, mais l'ensemble reste inodore et sans saveur. Sitôt vu, sitôt oublié


vendredi 16 décembre 2022

Walter Sickert







 

1860-1942   :  https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/walter-sickert


Découverte d'un peintre déroutant, démarrage laborieux avec quelques toiles ennuyeuses à mon goût, mais l'expo devient vite captivante avec de belles toiles à l'ambiance intriguante. Notamment sa manière de décrire les scènes de théâtre et de music hall, et de regarder ça (acteurs ou spectateurs) sous un angle improbable. Et pas qu'au théâtre : cette femme dans l'encoignure de l'armoire, ce type assis en train de jauger une femme debout, ce quai de metro à Londres, L'Hôtel Royal de Dieppe... Le regard est décalé, l'ambiance est à la distance, au vide et à la solitude

dimanche 25 septembre 2022

Palilula, Silviu Purcărete

Le film le plus inspiré, original, foutraque, corrosif, désenchanté, loufoque que j’ai vu depuis longtemps. Il règne une ambiance plus que bizarre dans ce patelin du fin fond de nulle part, où tout est déglingué, cassé, amoral et amoché, où règne un mélange d’anarchie et de bureaucratie dégénérée, mêlé de légendes populaires et rurales avec grenouilles, sorcières et vipères, peuplé de personnages étranges, bizarres ou tarés, où le temps n’a plus lieu d’être et où le réalisateur orchestre des banquets rabelaisiens, des festivités saugrenues, d’étranges bacchanales, le tout férocement arrosé. "E pur si muove" parce qu'il se passe plein de choses dans cette chronique improbable de l'improbable Palilula et "la nave va" parce qu’évidemment on pense à Fellini, un Fellini valaque revisité par la déliquescence d’une société en décomposition. Les séquences bizarres, délirantes, oniriques sont magistralement mises en scène dans une lumière crépusculaire, c’est au-delà du normal, une société décadente, oubliée, immorale, alcoolique, fêtarde et paillarde.
C’est hénaurme, grandiose et drolatique, atroce, caustique et magnifique avec une galerie de personnages extravagants, impossibles, mais curieusement réalistes dans leur irréalité. Silviu Purcărete est un génie. Mais son film a été mal accueilli à sa sortie (2012) et il n'en a pas fait d'autre !!!

vendredi 23 septembre 2022

Gérard Garouste


Ce peintre, que je ne connaissais pas, et qu’on ne peut appréhender que par le biais d’une exposition telle que celle du Centre Pompidou, est déroutant et difficile à approcher. La première impression, celle des premières salles est désastreuse (et primaire ?). Je déteste cette peinture ; le style de trait, les couleurs, et le fait qu’il faut systématiquement déchiffrer les cartouches pour comprendre.
Peu à peu, ça s’arrange, ou je m’habitue, je m’aperçois que j’ai affaire à un homme habité de visions et de réflexions, qu’il charrie énormément de ces « choses » dans sa tête et qu’il s’en délivre sur ses toiles. Ou ses sculptures. Ça reste (baroque ? Je ne sais pas si le terme est approprié), dense, surchargé de significations, incompréhensible, je deviens curieuse, intriguée, attirée, je commence à trouver ce peintre furieusement intéressant, même si tout ce qu’il peint m’échappe.
Je sors de là avec l’intention d'en savoir plus (notamment j'achète L'Intranquille, une autobiographie avec Judith Perrignon), de farfouiller sur internet et de revenir (essayer une visite guidée, notamment).




vendredi 9 septembre 2022

Rodeo

Lola Quivoron. C'est bizarre de passer 1 heure 1/2 avec des gens qu'on ne connaît qu'à travers la rubrique faits divers. On les côtoie donc, dans des banlieues genre zone, c'est déprimant de pauvreté urbaine, sociale et affective. Julie est une jeune femme (Julie Ledru) jolie, rude, rugueuse, seule et voyou (voyelle ?), en rupture de famille - si on peut appeler ça une famille- et en rupture de boulot. Elle ne vibre qu'avec une moto entre les jambes. Elle se connecte sur un circuit de rodéo avec des jeunes comme elle (et qui font d'incroyables acrobaties avec leurs engins). Cette bande/gang de fous de moto vit en circuit fermé de petits vols, trafics avec au centre de leur vie, la moto et les rodéos. C'est complètement déprimant de côtoyer ces jeunes gens rudes, brutaux, misogynes (mais la fille a des couilles) dont l'existence est dénuée de bienveillance, au langage minimaliste, aux émotions primaires, à l'horizon borné. L'humanité chez eux, quand il y en a, est super timide, hésite à faire surface, ose à peine se faire jour, se rétracte à la moindre alerte. Comme les antennes d'un escargot. On a l'impression qu'ils tournent en rond dans un circuit minuscule, sans avenir (sauf la prison éventuellement) et sans issue. Mais c'est trop long, on s'ennuie avec eux, quelques coupes auraient été bienvenues pour densifier le propos.



mercredi 7 septembre 2022

Vesper chronicles

 Kristina Buozyte et Bruno Samper. Un univers dévasté et à peu près stérile, une adolescente férue de biologie, qui vit dans une cabane pourrie avec son père grabataire, ses recherches perso pour dé-stériliser les graines à usage unique, ses démêlés avec son oncle, une ordure, les jugs, personnages artificiels qui servent d'esclaves, un accident d'astronef... C'est un univers bien campé, une histoire brute et simple de survie, avec une relative simplicité / économie des moyens (pas de surenchère d'effets spéciaux et de technologie) donc une tonalité originale pour décrire les péripéties de la lutte entre le bien et le mal. Bonne surprise là où l'on pouvait craindre une avalanche de clichés.

mardi 6 septembre 2022

Avec amour et acharnement

 Attention, je raconte tout le film : c'est tellement inutile d'aller le voir !

Un gigantesque cliché : c’est un couple qui s’aime, Sarah et Jean, ils le prouvent abondamment et complaisamment dans de dégoulinantes et sirupeuses léchouilles dans un lagon (ils remettront ça dans leur lit à coups de « je t’aime je t’aime » dans leur super appart tendance avec terrasse sur les toits de Paris dans le 9ème. So chic. Elle est journaliste à RFI (et nous inflige ses itw : une sur le Liban, une autre sur le racisme… histoire d’ânonner quelques lieux communs sur les deux sujets.) Ils se retrouvent (encore), ils s'aiment (c'est surtout elle qui le répète), ils s'embrassent, ils sont plein de tendresse, il est chômeur, il fait ses courses à Vitry dans sa vieille Mercédès bien-aimée, mais il va s’en sortir. Voilà pour l’exposé, ça prend un temps fou et c’est un enchaînement de banalités. 

Il va s’en sortir parce que son vieux pote François l’embarque dans un business, mais patatras, le vieux pote est aussi l’ex de madame, et boum, après 10 ans d’absence, le petit cœur de madame se remet à palpiter, à peine l’a-t-elle entrevu au coin d’une rue. Irrésistible attirance, façon papillon qui veut se brûler les ailes. Ça monte ça monte, elle aime son Lindon, dit-elle, mais elle aime aussi l’ex (apparemment égoïste ou salaud à l’époque et sans doute encore maintenant). Entretemps on a vu Lindon à Vitry, chez sa maman (Bulle Ogier) qui élève son petit-fils Marcus (parce que papa a fait de la prison), on s’est tapé quelques scènes où on comprend que c’est pas facile d’être père, ou grand-mère, ni d’être fils (couplet sur l’adolescence d’un métis en banlieue, en butte au racisme latent ou patent, en rupture d’école et en mal de père). Tout ça ne sert absolument à rien. Et c'est tellement convenu. Entretemps, la Binoche palpite de plus en plus mais nie de plus en plus qu’elle trompe son mari et ment éhontément. Les yeux dans les yeux, avec l'accent de la sincérité outragée, elle jure à Lindon qu'il se fait des idées. Mais hélas/heureusement, les sms sont là pour la démasquer...

Je ne sais pas s'il faut conclure que cette femme est une salope/ toutes les femmes sont des salopes, ou que la passion amoureuse est une maladie amorale et dangereuse ou que les bons bougres ne sont pas ceux qu'on aime, ou s'il y a une vague histoire sous-jacente de lutte des classes (le 9ème arrondissement de Sarah la journaliste contre le Vitry du brave Lindon, chômeur et ex-taulard qui de toute façon ne fait pas le poids avec le businessman salaud et à moto)... Mais ça ne devrait pas prendre 1 heure 56 pour déverser cette avalanche de clichés. Même en format normal, 1h30, ça aurait été indigeste. Et en plus, la musique (dont on dit le plus grand bien) souligne les tensions avec une effroyable lourdeur.
La critique du Monde est d’une complaisance incroyable !

mercredi 31 août 2022

Epouses et concubines

Zhang Yimou. Une très belle jeune fille, Songlian (la très belle Gong Li) décide d'arrêter ses études et de se marier car son père vient de mourir et elle est pauvre. Elle arrive donc chez un mari riche en tant que 4ème épouse et on découvre avec elle une incroyable maison-palais traditionnelle aux mœurs et à la géographie compliquées. Un serviteur l'accueille et la conduit dans un dédale de corridors débouchant sur des cours similaires, des maisons identiques, chacune d'elle abritant une des épouses. Elle arrive ainsi à ce qui sera sa "maison" : une vaste pièce élégamment meublée où elle attendra son mari en découvrant l'étrange rituel qui préside à sa venue. On découvre avec elle l'univers sinistre qu'elle a intégré, les méandres de la tradition, des interdits, de ce qui se fait ou pas, avec le maître au sommet de sa hiérarchie changeante de femmes et en arrière plan, l'ombre d'une nombreuse domesticité. Dans cet univers, rien ne change, sauf les saisons, tout est immuable, sauf le choix du maître portant sur la maîtresse du jour : c'est l'extraordinaire rituel de l'allumage des lanternes (raise the red lanterns) qui éclaire le choix du maître et fait sortir du néant la femme choisie. Ou signe sa sentence de mort sociale. Les femmes ne sont rien, sauf les intrigues ou manipulations qu'elles échafaudent pour défendre leur prestige ou ruiner celui de la rivale et recueillir les faveurs du maître. Auxquelles sont associées des préséances dans la maison (choix des menus, obéissance des autres épouses...)

La caméra explore les cours, escaliers, terrasses, les toitures délicatement incurvées, les décors...  tout est d'une beauté saisissante. Mais la complexité architecturale du palais, comme un labyrinthe, ajoute à l'impression de claustrophobie. Songlian est prisonnière d'un univers mortifère où la tradition structure une existence de spectres, une tradition archaïque (et moribonde?) à laquelle elle est étrangère : l'interruption de ses études (ça se passe au début du 20ème siècle) lui a fait faire un grand bond en arrière et intégrer la tragique destinée des femmes enfermées et annihilées. 

Le titre anglais "Raise the red lanterns" me semble plus adapté et moins racoleur qu'épouses et concubines.

samedi 27 août 2022

Le Soldatesse

Valerio Zurlini (film au titre mal traduit : Des filles pour l’armée). Beau film noir (en noir et blanc) sur des femmes grecques qui s'engagent pour les bordels militaires italiens, pendant la guerre absurde de Mussolini contre la Grèce. Un jeune lieutenant est chargé d'accompagner le "chargement" embarqué dans un camion militaire. Les péripéties du voyage, la noirceur et la cruauté du monde. Un bémol, les " principales" prostituées ( Lea Massari, Anna Karina et Marie Laforêt ) sont trop belles et trop "classe" pour être vraies, mais ça marche quand même. Le film est sobre et plombant.
Le beau et gentil lieutenant :
Gaetano Martino (Tomas Milian).
Je découvre ainsi Valerio Zurlini et ses films (que je vais essayer de voir) : Estate violenta, en 1959 (pendant la Seconde Guerre mondiale, mais en Italie) avec Eleonora Rossi Drago et Jean-Louis Trintignant, La Fille à la valise, 1961 (Claudia Cardinale et Jacques Perrin), et Journal intime, 1962 (Mastroianni et Jacques Perrin,), Lion d’Or à Venise en 1962.
Et aussi Le Professeur (1972).

lundi 22 août 2022

Films de l'été 2022

La Veronica, Leonardo Medel : portrait horrifique et addictif d'une influenceuse, portrait d'une époque, portrait en forme d'instagram d'une épouse de footballeur, de retour au Chili après quelques années à Dubaï. (Trop ?) bien fait : rien n'arrête "la Veronica" dans sa quête de followers, de reconnaissance, de notoriété. Elle est insupportable et convaincante, elle crève l'écran avec son ego hypertrophié et l'angoisse qui la traverse ici et là de n'être rien. Qu'à cela ne tienne, son néant est très bavard et manipulateur. Elle cause, elle cause, elle cause face caméra et elle peaufine son image qui se fissure. Le réalisateur en fait peut-être un peu trop dans la caricature, mais on la suit avec un délicieux frisson d'horreur à chacun de ses méfaits.

Le Grand Silence, Sergio Corbucci. J'en ai entendu parler dans le génial documentaire sur le génial Ennio (Ennio Morricone en a fait la musique), avec JL Trintignant en taiseux (muet !) confronté aux ignobles chasseurs de prime (Klaus Kinski). https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18695116.html    D'après l'histoire vraie d'un massacre dans l'Utah.  J'ai beaucoup aimé : c'est cruel, sombre, les paysages enneigés sont somptueux, l'histoire est implacable et la musique colle parfaitement au film. Ça m'a donné envie de voir d'autres films de Corbucci : https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=13757.html

Gerry Gus van Sant, un bizarre film d’errance dans le désert avec Matt Damon et Casey Affleck. Deux heures en compagnie du désert, très photogénique, avec deux gars qui s’égarent et qui marchent, marchent, marchent, (et font du feu la nuit). Film quasiment muet, on n’a qu’à contempler les variantes du désert (bush, collines rocheuses, étendues sans fin…) et à s’interroger sur ce qui se passe dans leur tête, et quelle interaction ça fait entre eux de comprendre qu’on se perd, de se dire qu’on est perdu et qu’on est foutu. Mystère. Mais ils doivent être vraiment amis parce qu’ils ne s’engueulent pas, ils ne paniquent pas, ils ne se jettent aucune angoisse ou reproche à la figure. Sauf un moment où ils ne sont pas d’accord pour suivre une piste pour trouver de l’eau. J'ai lu quelque part que c'était une histoire de doubles... (et donc ?) Et ainsi va le film, s’enfonçant dans la solitude et le néant, un très beau néant implacable. (C'est assez chiant).

Nope, Jordan Peele. Le Nevada ? Arizona  ? joue bien, les chevaux aussi, la lumière est très bien, la petite sœur est hystérique, sinon, pfff, rien à dire sur le mythe de l'ouest américain revisité par la blackitude et par un ovni. Même pas peur. C'est fastidieux et ennuyeux, voire ridicule. Un navet prétentieux.

L'Ecole du bout du monde, Pawo Choyning Dorji : un étudiant-instituteur en plein doute (il voudrait émigrer en Australie) est envoyé pour sa 5ème et dernière année de formation au bout du monde, à Luanana, au fin fond du Bhoutan. Le jeune citadin rencontre un autre monde, sa pureté, ses valeurs, et ce que sa présence représente pour cette communauté villageoise. Très bien ficelé, sobre, sensible, émouvant... Et des paysages somptueux.

Elvis, Baz Luhrmann avec Austin Butler dans le rôle d'Elvis. Excellent biopic, avec du grand spectacle / gros moyens où il faut comme il faut, et à l'arrière-plan, le personnage du producteur-vampire, narrateur de l'histoire.

Dédales (roumain, titre original : Miracol) Bogdan George Apetri.  Où l'on comprend que le réalisateur vomit la musique populaire traditionnelle, le pouvoir du clergé, et est plutôt circonspect sur les méthodes de la police roumaine. C'est un bon film dont on se demande longtemps où il nous emmène, avec une bonne part de mystère et de fausses pistes.  

La Nuit du 12. Dominik Moll.  Belle histoire d'enquête criminelle (le crime de la nuit du 12). Humain et désenchanté.

Les Nuits de Mashad Ali Abbasi : une journaliste sur la piste d'un tueur de prostituées dans les bas-fonds de Mashad. Il s'est donné pour mission de purifier la ville sainte de la pourriture. La police pas très empressée à le poursuivre. La population plutôt indifférente, voire de son côté quand il jugé. Le tueur persuadé de la justesse de ses actes. La journaliste en butte au machisme et la misogynie ordinaires. Pas mal, assez crade, désespérant.

Costa Brava Lebanon, Mounia Aki. Ou comment l'installation d'une décharge -soi-disant aux normes etc- au pied de leur propriété, en pleine nature, vient pourrir la vie que s'était construite une famille en rupture de Beyrouth (sa violence, sa pollution etc). La mère (ex-chanteuse star), le père, la fille adolescente, la petite fille (extraordinaire) et la grand-mère sont confrontés à la progression du chantier, des nuisances, des pressions pour les faire déguerpir et y réagissent chacun à leur manière. Très bien. Révèle chez chacun ses lignes de fracture. (Le titre vient du nom d'une plage de rêve au Liban qui a été pourrie de la même manière.)

As Bestas : Rodrigo Sorogoyen avec Marina Foïs, Denis Ménochet. Des néo-ruraux seniors et français s'installent quelque part dans les Pyrénées espagnoles, en tout cas dans un rude pays montagneux (Galice ?) pour se recycler dans l'agriculture bio. Ils sont confrontés à l’hostilité/rejet/haine des « vrais » ruraux : anti-intrus, anti-français, anti nouvelle agriculture etc. Très rude, très bien. Ambiance d'hostilité et de malaise à couper au couteau.

Entre la vie et la mort, Giordano Gederlini, avec Antonio de la Torre. Un conducteur de métro à Bruxelles, son fils qui tombe sur les rails quasiment sous sa rame, les flics sur son dos, une enquête en cours, un très sale type qui fait irruption chez lui… Le père va mener son enquête, parallèlement à celle des flics et la vérité apparaît peu à peu dans une ambiance bien sale et bien sombre. C’est plutôt bien.

Decision to leave , Park Chan-Wook (coréen) : la mort d'un homme dans la montagne, l’enquêteur, son attirance pour la veuve, suspecte. Pas mal, plastique parfaite mais finalement me laisse un souvenir confus. Peut-être trop compliqué ?

En roue libre, Didier Barcelo : Marina Foïs est coincée dans sa voiture. Elle n'arrive absolument plus à en sortir. Un jeune braqueur vole la voiture et donc l'embarque dans son road trip. Sympa

Coupez : (Michel Hazanavicius) Tournage d’un film de zombies, outrancier, drôlatiquement horrible. Le réalisateur et les acteurs se sont bien amusés, et le spectateur aussi.

I'm your man, Maria Schrader. Un homme algorithmique fourni à une chercheuse pour qu’elle analyse sa compatibilité/qualité d’homme idéal. Très bien. Le robot est bien trop humain, donc troublant.

Nos années sauvages (1990) Wong Kar-Wai : esthétique des années 60, jolies robes de l'époque, quartiers médiocres de Hong-Kong, décor miteux, pluie et une histoire où il est question de séduction et de désir. Un beau gosse, une jolie fille, il veut, elle veut bien, il veut plus, elle veut encore, une autre arrive, la chambre glauque, le lit en vrac, il ne se passe pas grand chose entre ces personnages, sinon une impression d'inachevé, d'insuffisant, d'inassouvi, la vie est ailleurs, pas dans ce qu'ils ont ou n'ont pas, font ou ne font pas, c'est même plus ténu : les choses se font et se défont et laissent un goût d'inachevé. Par exemple le policier du quartier aimerait bien protéger ou consoler la jeune fille, qui a le cœur ailleurs, et après c'est trop tard, il a disparu, il est devenu marin, quant au personnage principal, il est parti aussi, en quête de sa vraie mère aux Philippines...  Déjà ce sentiment d'inachèvement et d'inassouvissement, de désir qui ne rencontre pas son objet, de frustration... tout ce qui sera amplifié, magnifié et porté à son paroxysme dans In the mood for love.

Total Recall (1990) Paul Verhoeven. Un homme ordinaire (Arnold Schwarzenneger), apparemment, mais ses rêves le ramènent à Mars. Il décide d’y faire un voyage virtuel via une technologie qui implante des souvenirs, mais l’opération dérape et révèle d’autres souvenirs, apparemment occultés. Plus que bizarre, d’autant que ce réveil de la mémoire fait surgir un tas de gros bras décidés à l’éliminer ou le circonvenir. Bon film intelligent, efficace, mélange de thriller et de science fiction qui n’a pas encore vraiment vieilli

 Un Jour sans fin (1993) Harold Ramis, avec Bill Murray, Andie MacDowell / M.Meteo en reportage pour "le jour de la marmotte" se réveille pour revivre exactement la même journée. Et ainsi de suite. Bonne comédie.


mardi 16 août 2022

Les promesses d'Hasan, Semih Kaplanoğlu .

C'est une campagne magnifique, lentement, amoureusement filmée, apparemment sereine et intacte qui suggère l'idée d'une nature éternelle et infiniment généreuse. Mais ça, c'était avant, quand la famille vivait en harmonie et pique-niquait sous l'arbre majestueux planté par le grand-père. Maintenant, derrière cette vision édénique, il y a l'avidité de l'homme qui exploite la nature, la sillonne de lignes à haute tension, la gave de pesticides, achète et revend des terrains, s'en approprie d'autres... Pour preuve, Hasan juché sur son motoculteur, en train d'arroser copieusement ses tomates de pesticides. Derrière son air avenant et son statut d'entrepreneur modèle, Hasan aurait beaucoup à se faire pardonner avant de faire le Hajj. Car Hasan et sa femme sont assez riches pour faire le Hadj (qui coûte un bras) à condition de purifier leur âme en demandant le pardon de leurs offenses.

Par petites touches, on découvre les compromissions d'une vie ordinaire, une succession de turpitudes discrètes, comme en passant. Rien de très visible ou notable. Pourtant, au regard du Hajj, Hasan et se femme devraient se souvenir qu'on n'escroque pas son frère, on n'achète pas un juge, on ne trahit pas un ami, on ne désespère pas une pauvre vieille... Mais Hasan n'a fait que ce qu'il fallait pour réussir en forçant un peu le destin. Des entorses qui ne se voient pas puisqu'elles sont plutôt morales. Ou accomplies dans un cadre légal. Hasan aurait beaucoup à se faire pardonner.

Le film est beau (magnifiques paysages de la ruralité turque) et triste. Le destin de l'arbre majestueux au milieu de son champ, splendeur de la nature, témoin de l'innocence perdue, marque la fin du  monde d'avant. Dans le monde d'Hasan (pesticides, lois du marché, prêts bancaires, industrialisation), l'homme achète, vend, exploite, trompe, trahit, saccage la nature, et le Hajj n'y peut rien. (Je ne comprends pas "les promesses" du titre. A l'origine, c'est Bağlılık Hasan dont une des traductions est Loyauté. Je trouverais ça plus pertinent).

lundi 15 août 2022

Tempura

Akiko Ohku. On tombe tout de suite sous le charme de Mitsuko, son humour, sa manière d'observer la vie, son autodérision. Elle est fine, intelligente, jolie et solitaire. D'où l'intérêt d'avoir un double, une âme sœur, une conscience, un ange gardien... une voix à qui parler de tout. La trouvaille, c'est que cette voix intérieure est une voix off, celle du mystérieux A qui l'accompagne tout le temps (au bureau, au restaurant, au marché, au stand de croquettes, dans l'intimité de sa maison, dans une station thermale, dans l'avion, à Rome, à la Tokyo Tower...). On comprend que Mitsuko est timide, pas très à l'aise en société, pleine de contradictions et qu'elle essaie de vivre sa vie en accord avec elle-même et pas comme l'imposent les conventions japonaises. Elle observe les autres avec amusement, elle se lance des défis (faire des choses qu'elle n'a jamais faites ou qu'une femme seule n'oserait pas faire). Avec en filigrane l'intérêt qu'elle porte à un jeune homme aussi timide et réservé qu'elle. Le film est plein de fraîcheur et de trouvailles, c'est un plaisir de découvrir des situations cocasses, des gaffes, des maladresses, et de regarder comment  évolue la relation avec l'aimable jeune homme qui lui ressemble. Tout ça est à la fois léger, subtil, profond et plein de fantaisie.


samedi 13 août 2022

Magdala

Damien Manivel. Je pensais que j'aurais marché. j'aurais dû marcher. Un rêverie sur les dernières années de Marie-Madeleine ermite (Elsa Wolliaston). Les sous-bois, les fougères, l'humus, la contemplation du rien, le temps qui ne compte plus, la goutte d'eau au bout d'une feuille, la cueillette d'une mûre, filmées comme des instants d'éternité, les sons, plein de sons de la nature, et cachée sous ses haillons de bure, visage enfoui, cou emmitouflé, cette vieille cassée en deux, hors d'âge, hors du temps, verrouillée dans son amour du Christ, envoûtée par le pouvoir des humbles crucifix qu'elle crée avec 2 brindilles. Il semble que des saisons passent, c'est l'hiver (et les Winterreisen de Schubert) elle aime Jésus, elle sanglote en embrassant ses pieds cloués sur la croix, elle aime Jésus, c'est le printemps, l'eau, la purification et le renouveau avec deux corps nus et jeunes, c'est de nouveau l'hiver avec des accents d'agonie, elle aime Jésus, elle s'arrache le cœur, ou c'est Jésus qui le lui arrache, il est temps d'en finir avec cet amour agonisant, c'est la grotte d'éternité où l'on se cache pour mourir, grotte mythique et mystique, et l'arrivée d'une jeune femme Vermeerienne avec sa bougie, la lumière de son visage pendant qu'elle éclaire l'agonie. Sa patience d'ange. Hélas. Pas moi. C'était trop. Trop rien. Trop tout. Trop contemplatif ou méditatif. (Mais ce n'est pas ce que semblent dire les critiques, subjugués).

mercredi 10 août 2022

Peter von Kant

François Ozon. Pourquoi ce film plaît, globalement, alors qu'il m'a vraiment exaspérée ? Le gigantesque cliché de la passion amoureuse dévastatrice est donné en spectacle et exploité jusqu'à la trame, ou comment un humain est réduit à toutes les bassesses pour être aimé de qui ne l'aime pas. Tout y est. Avec en filigrane un pullulement de détails  sur la vulgarité du bonhomme, sa suffisance autocratique, et la duplicité du gamin beau comme un dieu qu'on voit arriver gros comme une montagne pour dévaster ce monument de monstruosité. Et c'est tant mieux. Il faut le dévaster, le saccager, c'est un sale type adulé par ses pairs, d'ailleurs, à part son énigmatique (et masochiste factotum) c'est tous des sales types (sales femmes, parasites et profiteurs, grande solitude gnagnagna). Mention spéciale pour Isabelle Adjani, tellement jeune et belle (et autre) que je l'ai à peine reconnue et pour Anna Schygulla, délicieusement vieille et grosse. Sinon, tout ce qu'il y a de prévisible, d'inéluctable et de fatal dans la passion amoureuse est là : la dépendance absolue, le manque absolu de l'autre, la propension à s'avilir dans la quête d'une miette d'affection ou au moins d'attention... Il faut que je revoie les Larmes amères de Petra von Kant (1972) pour comparer : était-ce aussi insupportable ou ça passait ?

C'est fait. C'est moins insupportable : Karin (Anna Schygulla) est plus fine dans son rôle, Petra délire mieux dans la solitude de son amour bafoué et la relation avec la bonne-factotum est plus nuancée (quoique tout aussi immonde). Mais qu'est-ce que c'est lourd et théâtral (cétait une pièce de théâtre au départ). C'est bizarre un tel succès à l'époque. Peut-être parce qu'au lieu de traiter le classique sujet de la dépendance amoureuse (genre La Femme et le pantin) Fassbinder l'avait adapté à une passion homosexuelle. Sujet plus "scandaleux" à l'époque. De quoi faire le buzz.

mardi 9 août 2022

Qiu Ju, une femme chinoise, Zhang Yimou

Zhang Yimou

1992. J'adore ce genre de film qui offre une immersion complète dans un monde inconnu (et disparu) : la Chine rurale des années 80, les décors, habillements, comportements, u et coutumes privés, publics ou judiciaires. Ou comment une jeune femme (la belle Gong Li) dont le mari a été battu par le chef du village, demande réparation de plus en plus haut (le district, la ville, les instances juridiques...) parce qu'elle n'obtient jamais la réparation qui lui paraît juste : des excuses. Or, ça se passe toujours sur un registre financier et de plus en plus administratif. Entretemps, on s'est promené dans les maisons (chez elle et chez le chef du village), sur les routes (en brouette, triporteur et bus) exceptionnellement en voiture, on a monté dans la hiérarchie des autorités et administrations concernées, on a découvert la ville avec les yeux de deux paysannes, et comment on se loge (dans des chambres collectives)  quand on ne peut pas se payer l'hôtel, on a mangé et bu avec les uns ou les autres, rencontré divers personnages plus ou moins conciliants, senti le gap entre des paysans illettrés et des citadins déjà versés dans le monde de la consommation... et tout ça progresse inexorablement jusqu'à la décision finale. C'est une belle histoire humaine et une belle fresque sociale.

 


samedi 6 août 2022

Accattone et Mamma Roma. Pier paolo Pasolini

1961.  Accattone traîne avec des potes bons à rien, petits voyous, glandeurs professionnels. Ils n’ont rien dans la tête, à part survivre, passer du bon temps, taper du fric à l'un ou l'autre, s’embarquer dans des combines foireuses et prendre la vie comme elle vient : coups donnés et reçus, chance au jeu, paris hasardeux, fanfaronnades, repas offerts et coups à boire… Le tout est d’échapper à la disgrâce du travail (c’est pour les pauvres et pour les femmes à la maison, au turbin ou au tapin). En l’occurrence, Maddalena assure les arrières d'Accattone en tapinant pour lui. Mais elle se retrouve en prison après un épisode sordide et ça se complique. Taraudé par le manque d’argent, Accattone (le mendiant, le bon à rien) - il se fait gloire de son surnom - essaie des ficelles sordides ou crapuleuses pour s’en sortir. Mettre une nouvelle fille sur le trottoir, par exemple.

Pasolini filme les terrains vagues où les putes se font tabasser et violer, le carrefour où elles tapinent, les taudis où nichent les pauvres, les baraquements en ruines de cette incroyable décharge de bouteilles que les femmes du coin viennent récupérer… et la police de loin en loin qui fait partie du paysage pour rappeler les limites qu’ils n’arrêtent pas de franchir.

Ce paysage sordide, ce tissu social déliquescent, cette zone à la lisière de la ville et à la frontière de la légalité, c’est  l’univers sans issue des laissés pour compte où l’on traîne de masure en taudis et en non-lieu.
Les tranches de ville sont comme des tranches de vie : d’un côté, le désordre, la délinquance et l’extrême pauvreté à la marge de l’Italie moderne et de l’autre, la standardisation et la modernité : au delà des terrains vagues, on aperçoit les blocs de béton résidentiel qui vont pourrir le paysage urbain et loger des pauvres un peu moins pauvres.
Et dans cet univers bâtard, Accattone à la marge, Accattone rebelle à l’asservissement par le travail ou la famille, Accattone, son sourire, sa tronche et son charme, Accattone roublard, séducteur, provocateur, fanfaron, rigolard, salopard… Accattone encore capable de croire qu’il va trouver sa place.

Mamma Roma

1962. Avec Mamma Roma, c'est comme si Accattone avait pris 15 ans (c'est le même acteur qui joue le mac qui se marie). Ça commence dans un patelin à la campagne, c'est une noce chez les ploucs, c'est l'ancien mac de Mamma Roma qui se marie, ce qui la fait bien rire. Mamma Roma est invitée, mais surtout, elle est revenue au village chercher son fils, Ettore car elle a réussi, elle va pouvoir l'installer à Rome, dans un bon quartier pour lui donner toutes ses chances dans la vie. Mais Ettore a grandi plus ou moins seul au village, il a l'habitude de traîner avec les gars du coin, il a arrêté l'école, et les relations avec sa mère n'ont rien d'évident : c'est un gentil gamin qui veut se prendre pour un dur et qui n'a aucun repère à Rome.

Mamma Roma a du charisme, du répondant et du chien, toute pute soit-elle. Et une formidable présence. Forcément, c'est Anna Magnani. Elle a aussi un énorme cœur de mère et une dévotion absolue à son fils et l'avenir qu'il mérite : il doit  réussir, se hisser plus haut qu'elle, devenir aussi riche et respectable (que ses clients). Et elle s'y emploie. 

Avec sa petite gueule d'ange un peu cabossée, son air un peu buté ou complètement charmeur, Ettore est aussi remarquable que l'était Accatone dans son rôle, complexe et ambivalent comme peut l'être un adolescent perturbé par ce changement d'univers, la rencontre avec la bande du quartier, les émois de l'amour ou de la sexualité. 

Ainsi va le film, avec cette prédilection de Pasolini pour filmer les expressions des visages et les paysages entre zone, ruines et terrain vague, "à la marge" des immeubles nouvellement édifiés, , .  la frange de ville intermédiaire qui n'est plus la campagne mais pas encore la ville, comme ses personnages, qui ont quitté la la structure solide du village mais ne sont pas encore arrivés. 

Belle découverte de deux films qui n'ont pas vieilli.


vendredi 5 août 2022

 

Œdipe-Roi 1967 et Médée 1969,  Pasolini, que dire ? C'est sublime de beauté (costumes, décors naturels, notamment la Cappadoce pour Médée et les palais de terre -du Sud marocain ?- pour Œdipe-Roi) Les références culturelles sont brassées, c'est pas très hellénique, plutôt ethnique et ça emprunte à un catalogue diversifié de masques, armures, motifs, tissages, c'est donc intemporel comme la mythologie pourrait on dire. On est gâté avec tant de références et d'exotisme haut-de-gamme. Très chic. Les décors-paysages sont renversants (c'est ce qu'il y a de plus beau avec la splendeur des costumes). Et Maria Callas en Médée est forcément magnifique, mais... Quelque chose cloche (la longueur ? la lenteur hiératique ? l'emphase ? le look des acteurs dans leurs costumes trop sublimes ? C'est trop théâtral et trop construit? Il y a des kilomètres d'exégèse pour relier ces film, les mythes et Pasolini, que j'ai un peu survolés, preuve que j'ai cherché à comprendre ce qui m'échappait : rien à voir avec le choc, la splendeur épurée, la puissante austérité de l'Evangile selon Saint-Matthieu.

mercredi 3 août 2022

L'Evangile selon Saint-Mathieu, Pier Paolo Pasolini

L'occasion d'embarquer dans l'œuvre de ce cinéaste que je ne connais pas ou que j'ai oublié. Uccelacci et uccellini : vu et oublié. Porcherie : (peut-être) vu et oublié, pareil pour Théorème, pire pour Le Decameron : souvenir d'un truc bavard, racoleur, barbant. Donc, un regard neuf pour les 100 ans de la naissance de PPP, d'autant que je n'avais vu aucun de ceux-là : c'était une rétrospective des années 60-70.

L'Evangile selon Saint-Matthieu, m'a scotchée. La beauté des images, la beauté des paysages, la beauté des personnages, cette manière incroyable de filmer les visages en gros plan pour y capter de minuscules frémissements. Pasolini oblige à voir ce qu'on a l'habitude de capter fugacement, en passant. 

C’est puissant et d’une beauté saisissante. Pasolini filme le Christ en mouvement, entraînant les gueux à sa suite, les électrisant tandis que le pouvoir s’inquiète et décide de le mettre à mort… Le prologue est sublime, avec Marie debout sur la roche comme une apparition ou une statue, image incrustée dans l’imaginaire collectif, la même qu’on verra apparaître à Lourdes et ailleurs. Marie, belle comme une madone grecque (ou une peinture du Greco ?) sublime de mystère. 


Sauf que c’est aussi l’image déroutante d’une Marie déjà largement enceinte. Pasolini scrute son visage, la profondeur liquide de son regard de vierge méditerranéenne et la contemplation de cette figure (grave ? légèrement torve ? vaguement butée ? d'une opacité adolescente ?) est troublante. Joseph est troublé lui aussi, diverses émotions le traversent pendant qu’il la regarde et que l’ange - encore une figure étonnante - lui annonce qu’elle sera mère de Dieu et qu’il peut / doit ? l’accepter pour épouse. C’est l’Annonciation faite à Joseph traversé de l’ombre d’un doute, le frémissement d’une émotion avant l'acceptation, comme une lumière de joie éclairant ce beau visage mûr, sensible, tactile.
Le premier choc du film, c’est la beauté picturale de ces visages, comme autant de tableaux, livrée par un regard de peintre. Marie, Jésus, Joseph, Jean-Baptiste, les apôtres, … tous les visages sont extraordinairement puissants. Est-ce que ce sont des visages extraordinaires, ou c’est le regard de la caméra qui les rend si profonds, intéressants, essentiels ? Ils sont si présents et sensibles, charnels, à fleur de peau.

 L’autre saisissement, c’est la beauté du paysage et de décors qui n’ont pas l’air de décors : des paysages de falaises, de landes sévères, des déserts volcaniques, des palais et des villes décaties (d'avant les restaurations du tourisme labellisé Unesco). C’était un coup de génie d’incorporer au film ces étranges falaises de Matera, à la fois éternelles et précaires, à moitié façonnées par l’homme. Un incroyable décor-paysage de ville troglodyte sans âge, hors d’âge, millénaire, déglinguée, immortelle, habitée par les miséreux, environnée d’une nature austère de landes pierreuses. Ce décor est extraordinairement puissant et présent, comme s’il était indissociable d'une histoire intemporelle, datant de quand Jésus a fait irruption dans la rudesse du monde.
Et la musique, bien sûr, l’image et la musique se sublimant l’une l’autre, révélant des moments de poésie ou d’émotion pure, à faire se hérisser la peau du dos.

On connaît l’histoire, pourtant on est suspendu à ce film dépouillé, à sa puissance épique, au style virtuose, épuré, incisif. C’est percutant, sans fioriture, sans bavardage, muet mis à part la parole du Christ qui annonce, énonce, résonne, exige, pourfend. Comme si filmer la parole de Dieu dans ce décor minimaliste de pierre, de roche et de pâtures à moutons faisait résonner ce qu’elle a d’essentiel et d’implacable.
Et dans ce monde de pierre, des humains trop humains, sensibles, perplexes, à l’écoute, subjugués. Cet homme paraît et sa parole bouleverse les hommes. Les pauvres, les rien du tout, les handicapés, les enfants. Malheur aux tièdes, aux mous, aux marchands qui commercent dans la maison de Dieu, malheur aux pharisiens, aux hypocrites, aux riches qui ont l’argent, la richesse, le pouvoir, trop d’écrans et de paravents pour entendre cette parole et la suivre.




Pasolini filme cet homme en marche qui sème le trouble et désordre dans une foule versatile et suiveuse, happée par son mystère. Enthousiaste aux Rameaux, grondeuse au procès, elle choisit de sauver Barabbas et se presse sur le chemin de l’exécution : fidèles, badauds, haineux, curieux, ils sont tous là.  
Bizarrement, l’Eglise ne se sentirait pas visée. Elle a adoubé cet Evangile selon Pasolini qui met en lumière le pouvoir subversif de Jésus. Comme si l’Evangile était communiste, comme si l’Eglise donnait la part belle aux rien-du-tout, et choisissait la foi avant les dogmes.



samedi 30 juillet 2022

Sundown

 Donc ils sont très riches (Tim Roth, Charlotte Gainsbourg et deux ados) et on les regarde -trop longtemps- passer leur vie de riches dans un hôtel de luxe à Acapulco. Un énorme cliché qui s'étire avec piscine à débordement et service de margaritas. Trop long. Heureusement, la grand-mère meurt subitement pour mettre fin à tant de banalité. La mère et les deux ados se rapatrient à Londres (on s'éternise dans les transferts, les taxis, l'aéroport) Trop long. Mais l'homme (en fait c'est le frère et oncle) prétend avoir oublié son passeport pour revenir en ville et zapper les obsèques. Comme c'est bizarre. Et là, il se met à ne rien foutre avec application et détachement : plage, bière, baise avec une mignonne jeunette et quand c'est fini, ça recommence. Ah oui, il a choisi un Acapulco populaire, avec la plage en ville, plus sympa  et vivant que son hôtel de luxe. Ça vit autour de lui (à la différence de son hôtel de riche, ça alors !) mais c'est long, répétitif et barbant. La sœur  (on comprend que c'est son frère) qui a dû tout régler toute seule finit par s'énerver et rapplique ; on ne sait pas trop ce qu'elle attend de lui, mais il lui abandonne toutes les parts de l'empire dont ils ont hérité (empire bâti par maman sur la production de cochon ! cherchez la métaphore.) On continue à s'ennuyer et se demander d'où vient le détachement et l'ennui profond que sécrète ce bonhomme. Je spoile parce qu'il est absolument inutile d'aller voir ce film. Il y a un petit intermède en forme de tentative d'enlèvement, on suppose qu'il va se passer quelque chose, que nenni, c'est une fausse piste. Et on revient au sujet, avec un léger soupçon qui se confirme : il se passe juste que le gars est malade, cancer, condamné, c'était donc ça ! Et c'est tout. Sa mort annoncée l'a juste rendu apathique, passivement hédoniste et hyper détaché : le fameux  lâcher prise.  Que c'est barbant !

vendredi 29 juillet 2022

Destruction Babies et Becoming father

Destruction Babies, de Tetsuya Mariko. Avec Yuya Yagira, Masaki Suda, Nijiro Murakami, Sosuke Ikematsu (Jap., 2016, 1 h 48).
et Becoming Father Avec Sosuke Ikematsu, Jiro Sato, Yu Aoi (Jap., 2018, 2 h 09).

Ça donne une image du Japon assez spéciale, plutôt violente, comme si ça révélait toute la violence sociale qui se cache derrière de solides conventions.
Le premier, Destruction Babies, est vraiment étonnant, vu que le film passe son temps à suivre les méfaits d'un jeune homme bagarreur à l'extrême. Il suit quelqu'un dans la rue, et il s'y attaque, on ne sait pas trop ce qui le motive ni s'il connaît ceux qu'il attaque. Il tape comme un fou, il se fait lui-même bien tabasser, mais ça ne l'arrête pas du tout, jamais. Il s'attaque même à des voyous genre yakusa. La baston, la castagne pour rien, pour voir, pour le fun, pour exister ou pour remplir le vide. A un moment, il rencontre une bande de jeunes gens "normaux", apparemment lycéens, et il les agresse (parce qu'ils se sont moqués de lui, de son allure et son odeur de sdf.) Un des quatre, le plus lâche, se met à le suivre et devenir une sorte de groupie, comme si ce "modèle" le libérait de son éducation. Il devient une sorte de mouche du coche, brouillon, excité, il félicite et encourage son modèle, l'autre s'en fout, il le filme, et il se met lui aussi à agresser des gens, mais d'une manière lâche et stupide (de préférence des filles et des plus faibles que lui). A partir de là, il y a un gros scandale dans une galerie commerciale, les médias et les réseaux sociaux s'emparent de l'affaire, et les voyous s'enfuient en volant une voiture, non sans avoir plus ou moins kidnappé une fille. Le "suiveur" est toujours plus ignoble, lâche et odieux, le leader reste hermétique, mutique et imperturbable. Il ne parle jamais, sauf une fois pour dire "je continue tant que ça m'amuse". On en déduit qu'il n'a pas d'autre motivation que d'être une âme à la dérive, emportée par un flux de violence intérieure qu'il extériorise dans la bagarre, ça l'amuse et rien de plus. C'est assez bizarre, cette vision sociale des  "destruction babies" : ils sont à la dérive, sans morale, sans foi ni loi, sans limite. J'en ai déjà raconté beaucoup trop, j'ajoute juste qu'à la fin (et à 1 ou 2 reprises dans le film) il est question d'une cérémonie/fête traditionnelle annuelle -j'ai oublié le nom- où des hommes s'affrontent pour prouver qui est le plus fort. Je ne sais pas si c'est dans cette ville (Matsuyama ?) ou dans tout le Japon, mais on a l'impression que le réalisateur veut parler d'une violence institutionnalisée, comme si elle était à la source de ce qui, chez ces jeunes gens, devient une violence hors cadre et hors contrôle. Je voudrais bien savoir quel était le titre original du film en japonais : Disutorakushon beibîzu (ça a l'air d'être pareil). Au final, le film est à la fois intéressant, mais aussi un peu long et répétitif.
Le deuxième film, Becoming father, est plus classique : c'est l'histoire d'un jeune homme lambda, un peu manipulé par une fille (elle se sert de lui pour tenir à distance un "ex" envahissant).
S'ensuit toute une histoire habilement montée, avec des avant/ après/ retour en arrière, une construction un peu kaléidoscopique d'où il ressort la complexité des sentiments et motivations de la femme, l'évidence et la violence du machisme ambiant, la naïveté du jeune homme qui doit devenir une brute pour triompher, lui aussi, du machisme ambiant. C'est un film plus complexe et plus intéressant que le premier et là aussi, on voit la violence qui régit les rapports à tous les niveaux et à quel point la hiérarchie sociale est incontournable : au sein de l'entreprise, entre les hommes, entre les hommes et les femmes...

jeudi 16 juin 2022

La Maman et la putain

Jean Eustache. 1973. J'ai longtemps entendu parler de ce film culte sans l'avoir jamais vu, j'y suis allée avec méfiance. J'ai été agréablement surprise : le film n'a pas vieilli même s'il évoque un univers révolu post soixante-huitard et féministe. Un film moderne qui capte les tics et ressorts de l'époque à travers la vision du monde décalée d'un jeune dandy désengagé (Alexandre = Jean-Pierre Léaud), ennemi du salariat et résistant à la récupération. C'est donc un jeune homme très occupé à ne rien faire (peut-être qu'il écrit vaguement), à traîner sa nonchalance dans les cafés branchés de Saint-Germain et à tomber amoureux, ou plutôt poursuivre une idée du désir, alors qu'il vit avec une femme, ou plutôt chez elle (Bernadette Lafont). 

Spécialiste des relations décousues, qui s'arrêtent, reprennent ou continuent on ne sait pas trop pourquoi, Alexandre surfe sur l'air du temps au fil de rencontres de café, rendez-vous évasifs entre jeunes gens qui seront peut-être là, ou peut-être pas, refusant toute idée de collage, de lourdeur, fuyant le prévisible et le convenu. Gilberte, Marie, Veronika... Au fil de dialogues apparemment à bâtons rompus - il paraît que c'était ciselé à la virgule près - il est question de liberté sexuelle, émancipation des femmes, avortement, on capte l'air du temps, le sens du dérisoire et de la mise à distance. Même si "amour" finit par pointer son nez avec l'envie de rimer avec toujours. Le trio Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Françoise Lebrun est épatant. (Même JP Léaud est convaincant dans son "insoutenable légèreté de l'être").

Men

 

Alex Garland. Classé dans Epouvante/horreur, c'est plutôt sophistiqué et angoissant (même si 2 ou 3 scènes "gore"). Une jeune femme, Harper (Jessie Buckley) part se réfugier dans une belle demeure de la campagne anglaise pour se ressourcer après un drame personnel, sauf que tout a l'air un peu bizarre dès le début, et pas très rassurant : le propriétaire (Rory Kinnear), la promenade dans les environs, cette apparition bizarre dans les bois, le policier, le pasteur, le gamin... (auxquels Rory Kinnear prête son visage : c'est bluffant). Tandis que la tension monte - d'autant plus qu'elle est en butte au machisme ambiant face à une femme seule, séparée, isolée - les souvenirs du traumatisme qui hante Harper refont surface. Tout en interrogeant la violence du rapport homme/femme, le film laisse planer le doute sur une bonne partie du film. Est-ce que la situation est réellement anxyogène, ou bien c'est Harper qui se fait un film ?  Le final est étrange et saisissant (et gore).

mercredi 8 juin 2022

Frère et sœur

 

Arnaud Desplechin. Louis (Melvil Poupaud) et Alice (Marion Cotillard). Deux pôles antagoniste, deux blocs de haine irréductible, dont on ne saisit pas vraiment les ressorts (jalousie d'enfance ? des choses que Louis aurait révélées dans ses livres ?)  Rien n'est jamais très clair dans les relations familiales, il y a même un psy dans le scénario, histoire de rappeler que tout ça se noue loin dans l'enfance ; d'ailleurs, c'est l'accident des parents qui va attirer-repousser le frère et la sœur à l'hôpital. S'ensuit un  ballet d'évitements, souvenirs, syncopes, flash-back, d'excès alcoolique, psychotropique ou médicamenteux, ... Le film juxtapose de belles scènes/tranches de vie (notamment les scènes avec la merveilleuse Golshifteh Farahani), mais le "décousu" fait qu'on reste un spectateur vaguement perplexe devant cette surenchère enfantine à rester le gagnant de la haine la plus tenace et inextinguible. Comme si, à leur âge, ils avaient gardé leur âme/haine d'enfant. Ou alors c'est parce qu'ils sont tous les deux des artistes (de ces gens qui ne se plient pas au sens commun). Sur le coup, c'est long et un peu chiant, on se dit que leurs egos hypertrophiés ne méritent pas ces excès d'attention. Après coup, il reste les beaux acteurs, de belles séquences et quelques étranges scènes paroxystiques.

jeudi 2 juin 2022

La Ruche

 Portrait de  Fahrije, une femme libre dans un monde clos. Ça se passe après les guerres balkaniques (Kosovo / Serbie-Montenegro) la moitié des hommes de ce village kosovar a disparu, exterminés par les Serbes, sans qu'on ait retrouvé les corps de bon nombre d'entre eux. Mais le monde continue comme avant et la survie, comme on peut : les hommes au café, les femmes à la maison, même si les hommes qui subvenaient aux besoins de leurs familles ont disparu. Malheur à celle qui va braver l'ordre ancestral, passer son permis de conduire, et monter une entreprise artisanale de conserves d'ajvar (une sorte de coulis de poivrons). Le film raconte le combat Fahrije pour survivre dans un environnement hostile, où les autres femmes n'osent pas ce qu'elle ose : travailler hors de la maison, ou plutôt faire sortir de la maison le seul travail que ces femmes sachent faire : la cuisine. L'abeille industrieuse  gagne peu à peu l'adhésion d'autres abeilles du village... C'est une histoire vraie, c'est un film dense, dur, sobre et puissant.

Murina

Antoneta Alamat Kusijanovic. La mer, la plongée, la pêche à la murène, le soleil, une magnifique jeune fille, l'emprise du père, Ante, qui ordonne et régente le monde autour de lui : un caillou rocheux, potentiel paradis touristique si investisseur... En l'occurrence, Javier, un ami d'enfance, qui débarque auréolé de sa richesse, sa puissance, et "l'ailleurs" qu'il incarne. Son arrivée sème le trouble dans cet univers contraint. Il ranime l'idée, ou le souvenir du désir (il a été amoureux de la mère), et trouble la jeune fille en suscitant l'idée d'un autre monde, une autre vie, un autre ordre (ou désordre) possible, un monde affranchi du père. C'est sculpté à la perfection : la perfection des corps, leur proximité dangereuse, et l'impression de progresser  à la limite du supportable : l'emprise du père, l'enfermement physique et moral, le sentiment permanent d'une catastrophe imminente.

Birds of America/Les Oiseaux d'Amérique

Jacques Lœuille. Le Mississipi dans la 1ère moitié du 19° siècle et le foisonnement d'oiseaux dont il était peuplé. Jean-Jacques Audubon  a publié le résultat de ses observations en 4 volumes entre 1827 et 1838,  Birds of America : 435 planches d’un format de 1 mètre sur 75 centimètres, gravées sur cuivre et coloriées à la main, 1065 oiseaux représentés grandeur nature, appartenant à 489 espèces. C'est un éblouissant témoignage et hommage à l'incommensurable splendeur de la nature et de la biodiversité. En parallèle, le Mississipi d'aujourd'hui après les ravages successifs des plantations ( déforestation) puis ceux des industries du pétrole... Les images et témoignages du présent sont désespérants : une foultitude d'espèces ont disparu, tout comme ont disparu une foultitude de nations indiennes, tandis que les populations riveraines subissent la pollution ambiante. Un beau documentaire poignant, encore un coup d'épée dans l'eau pour dénoncer la puissance dévastatrice de l'activité humaine hors de contôle.https://dai.ly/x8b8157https://dai.ly/x8b8157

mardi 31 mai 2022

Quelques films

Presque : Bernard Campan, Alexandre Jollien /un entrepreneur de pompes funèbres, une rencontre improbable avec un handicapé moteur, leur périple en corbillard de Lausanne vers le sud de la France. Très bien, sensible et intelligent

Une Affaire d'Etat : Thierry de Peretti. Le patron de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (=Jacques Billard=Vincent Lindon = affaire François Thierry) expose ses méthodes discutables, mais efficaces selon lui : laisser passer la drogue pour la suivre et remonter aux gros trafiquants, s’appuyant notamment sur un infiltré (Hubert Antoine = Roschdy Zem dans le film). Mais l’infiltré se rebiffe et contacte un journaliste de Libération (Stéphane Vilner=Pio Marmaï) pour dénoncer les méthodes discutables de son patron (un certain laxisme fait que quelques tonnes de drogue disparaissent ci ou là) et ils écrivent « L’infiltré » (à l’origine du film).
Le film se conclut sur le procès en diffamation qui en découle, pour décider s’il y a scandale d’état ou affabulation de l’infiltré. Pas mal, un peu complexe ou confus, quelques longueurs ou séquences parasites.

The Chef : Philip Barantini. Dans les coulisses d'un restaurant étoilé, la dure vie d'un jeune chef qui a investi dans son propre restaurant à Londres.

La Panthères des neiges. Vincent Munier (le photographe) et Sylvain Tesson (l’écrivain) en quête de la panthère des neiges sur les hauts plateaux tibétains. Beau, sensible etc

The Souvenir I et II , Joanna Hogg : deux versions de la même histoire d'amour toxique par la même protagoniste, étudiante en école de cinéma. Complexe, sensible, intelligent, compliqué de rendre compte des qualités de ces deux films. Tout est là :

https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/the-souvenir-part-i-et-part-ii-joanna-hogg-critique-film-10046059/

Nos âmes d'enfants Mike Mills. Un journaliste radio (Joaquim Phœnix)  prépare un reportage sur la jeunesse. Il se retrouve "affligé" de son neveu pendant que la mère doit s'occuper du père de l'enfant. La relation qui se construit...Rien n'est faux mais bof.

Mademoiselle Ogin (1962) Kinuyo Tanaka. À la fin du XVIe siècle, alors que le Christianisme, venu d’Occident, est proscrit, Mademoiselle Ogin tombe amoureuse du samouraï Ukon Takayama, qui est chrétien. Le guerrier refuse ses avances, préférant se consacrer à sa foi, et Ogin prend pour époux un homme qu’elle n’aime pas. Mais quelques années plus tard, Ukon revient et lui avoue son amour. Ogin, qui est la fille du célèbre maître de thé Rikyu, veut reprendre sa liberté. Mais le redoutable Hideyoshi, qui règne sur le pays, a entamé des persécutions anti-chrétiennes... Intéressant pour la reconstitution historique et la narration d'une belle histoire d'antan et d'ailleurs.

La Notte Antonioni (1961) Tout à déjà été dit-écrit, mais après coup (longtemps après) ... j'ai trouvé vaguement ennuyeuse cette nuit d'ennui et de désenchantement, cette vague errance des corps et des âmes, même si la belle Monica, le beau Marcello... Je suppose qu'il fallait voir ce film quand il était moderne et dans l'air du temps. Mais 50 ans après...

Belfast : cf post

Notre-Dame brûle , Jean-Jacques Annaud : le "making of" de l'incendie. Scotchant

Aristocrats, Yukiko Sode. Hanako, de famille riche et traditionnelle, bientôt 30 ans, est toujours célibataire. Elle accepte un mariage (arrangé) avec une famille encore plus huppée. Mariage ambigu, frustrant. Le mari, également victime des injonctions de son milieu - il sera politicien comme papa- entretient aussi une relation  ambiguë avec Miki, ex-étudiante devenue hôtesse faute de moyens. Portrait de deux manières d'être japonais en général et une femme japonaise en particulier, l'une soumise, l'autre pas. De suivre ou pas la tradition et les injonctions familiales et sociétales. 

Contes du hasard et autres fantaisises, de Ryusuke Hamaguchi (celui qui a réalisé fait Drive my car et Senses, que j'ai adoré aussi.) Un cinéaste très fort pour raconter la finesse et la complexité des relations humaines en filmant des situations apparemment très simples :
- une fille raconte à une autre comment elle est en train de tomber amoureuse d'un homme, et il se trouve que cet homme est l'ex de l'autre fille
- une étudiant frustré demande à une copine de le venger en manipulant un professeur d'université
- une fille de retour à la ville de son lycée croit reconnaître une copine de lycée (et vice-versa) d'où un qui proquo intéressant
Les trois contes sont vraiment réussis.

Un été avec Monika, 1953. Un Bergman de jeunesse. Milieu prolétaire, naissance d'une idylle entre deux jeunes gens un peu rebelles, insouciants, leurs amours en roue libre (bateau, été, soleil) mais vient la fin de l'été... L'insouciante et troublante Monika ne rentrera pas dans le rang, malgré la naissance d'un enfant. Beau portrait de la jeunesse rattrapée (ou pas) par le principe de réalité. 

Downton Abbey  On retrouve les mêmes avec plaisir. Bien scénarisé, dialogué, filmé... impeccable

Et j'aime à la fureur André Bonzel. En héritant d'une malle de bobines de films amateurs, André Bonzel se sert de ces films pour raconter sa vie, sa famille et son amour du cinéma. On se laisse porter avec plaisir et curiosité pour ces archives de personne, de nulle part et de tout le monde ainsi que par ce récit d'une vie singulière et universelle.

dimanche 6 mars 2022

Belfast

 Kenneth Brannagh. L'enfance nord-irlandaise du réalisateur. Le film démarre en août 1969, quand débutent les émeutes entre protestants et catholiques à Belfast. C'est pas mal, mais un peu convenu à tous points de vue : le petit garçon est adorable de sensibilité enfantine, la maman est touchante d'intelligence maternelle, le père est un peu évasif (il fait des aller-retours entre son travail, loin, et sa famille à Belfast) mais sait se montrer un père quand il le faut, le grand-père est délicieusement grand-père, et tout ça évolue dans un décor de carton-pâte : le quartier où tout le monde se connaît, la rue où il a grandi, bref un monde idyllique (regard d'enfant) jusqu'au moment où éclatent les émeutes (violence incompréhensible, horrible etc) avec la figure du mal : un activiste tordu et malfaisant, les habitants sommés de choisir leur camp... Ça se laisse voir parce que tous ces gens sont touchants et sympathiques, c'est joli en noir et blanc, avec la déco et les vêtements de ces année-là, mais il manque quelque chose qui empêche que ces images parfaitement léchées fassent un film marquant.

samedi 26 février 2022

Les Poings desserrés

Kira Kovalenko (32 ans), prix de la section Un certain regard au Festival de Canne. Regard sur un univers sinistre et verrouillé, dans un pays sinistre proche de la Géorgie (Ossétie du Nord), sans couleur et sans âme, avec une route, une zone minière, une sorte de village- usine pour les travailleurs de la mine, et rien de rien, à part le boulot (à la mine ou à la mairie), un terrain vague où faire rugir les moteurs en dérapages contrôlés, l'école (qui sert aussi de salle de bal local) et une micro boutique-bazar minable, où travaille justement Ada (Adadza), la plus enfermée de tous, tenue en laisse par "l'amour" de son père (dictature patriarcale) et par "ses" hommes : un soupirant vraiment lourd, le petit frère vraiment collant, et le grand frère, figure possible de la libération. Le jeune fille est pieds et poings liés dans les liens de cette micro-société étouffante, où elle va mal à tous points de vue et ne peut que serrer les poings de détresse et d'impuissance en rêvant de partir. Sauf si le retour de l'aîné, parti à Rostof, arrivait à débloquer la situation. C'est très bien ficelé (c'est le cas de le dire) et complètement déprimant. On étouffe devant ce portrait effroyable d'un pays, d'une famille, d'une jeunesse. C'est aussi déprimant qu'un film des frères Dardenne. On est content quand c'est fini.

lundi 21 février 2022

Damon Galgut, L'Eté arctique

 Titre original, Arctic Summer, à ne pas confondre avec Arctic Summer (L'Eté arctique), roman ébauché d'E.M Forster. 

Damon Galgut s’attaque à un monument, le personnage d’E.M Forster : il l’esquisse, l’ébauche, le sculpte, le dessine, l’affine, le peaufine. Approximations et fausses routes, allers vers l’avant, retours en arrière, reniements, engouements, déceptions… Arctic Summer offre un portrait très subtil et profond de la solitude de l’écrivain. Solitude en général, puisque c’est apparemment le propre de l’écrivain de ne pas trouver sa place dans le monde et de s’y sentir en constant porte-à-faux. Pire encore quand l’écrivain est un homosexuel qui peut d’autant moins assumer son homosexualité qu’on est en Angleterre au début du 20ème siècle. S’ajoute à ça, ou plutôt préexiste à ça le carcan de la réalité sociale : les gens de son rang évoluent au cœur d’un sytème de castes, où la hiérarchie et les appartenances se lisent en fonction des clubs, des collèges, des cercles fréquentés. Galgut explore brillamment le dédale ou labyrinthe de ce qu’il convient de faire ou pas, de taire ou dire, à qui le taire et à qui le dire… Toute la société est verrouillée et sécrète à l’infini les codes de la convenance et de la pensée correcte à tous les niveaux. Sans compter l’omniprésence d’un mère qui doit absolument être épargnée de tout contact avec la réalité de ce que vit, ressent, éprouve son fils. C’est donc ce qui anime tout le livre : la quête douloureuse de quelqu’un à qui parler en son âme et conscience, quelqu’un à aimer corps et âme. L’affaire se complique encore dans la confrontation avec l’Inde, où s’ajoute le système colonial et le sytème des castes, doublé de la partition religieuse (hindous/mahométans). Forster en effet, sur la foi d’échanges un tant soi peu authentiques avec Massood, étudiant indien à Cambridge (ou Oxford) s’est pris à rêver d’une autre vie, une vie où il serait en harmonie avec lui-même et avec l’homme qu’il aime. Il entame donc le voyage en Inde. Mais en fait d’authenticité, il rencontre en Inde un homme fuyant, incernable, appartenant d'abord à son pays, son métier, son milieu, et à une société encore plus rigide. Le système britannique sécrète sa domination et ses propres castes tandis que les Indiens sécrètent les leurs : deux systèmes de rigidité qui se juxtaposent et se renforcent quand ils ne s’affrontent pas. Forster traverse l’Inde comme dans un rêve, ou un brouillard, où rien ne s’agence jamais comme il l’a imaginé ou pensé, où les connexions attendues ne se font pas ou se défont. L’Inde est trop complexe et déroutante. Il n’y comprend rien, ou plutôt, il lui faut le temps du recul et de l’élaboration pour « digérer » le choc de ce continent et l’expérience de lui-même. Tout ce qu’il absorbe - une infinité d’impressions, d’anecdotes, de rencontres, de paysages, de situations, de réflexions sur la manière d’être des Anglais et des Indiens - sera la matière du livre à venir, La Route des Indes.
J’aime beaucoup ce roman, son intelligence de l’intimité d’un homme et de la complexité du monde, et la peinture de la dynamique de réagencement permanent de l’articulation entre « moi et le monde », l’intime et le sociétal.
Pour une étrange raison, l’exemplaire que j’ai lu  (acheté sur internet via un site de librairies) vient d’une bibliothèque, avec la mention infamante « EXCLU DES COLLECTIONS ». Quel bizarre et tragique destin, alors qu’il s’agit d’un grand roman. Je me demande d’ailleurs ce qui a conduit à cette exclusion. Le simple fait de ne pas être emprunté ? Beurk. Ils auraient mieux fait de le lire et de conseiller la lecture de cet excellent écrivain sud-africain, auteur également de L'Imposteur, excellent roman, également puni : il  "a fait l'objet d'une élimination des collections du réseau des bibliothèques de la Communauté d'Agglomération Paris-Vallée de la Marne".

vendredi 11 février 2022

Adieu Paris

Edouard Baer. C'est une bande de vieux potes/vieux beaux du monde branché parisien (écrivain, sculpteur, chanteur,  philosophe, acteur...) qui se retrouvent rituellement dans le restaurant (branché intello chic, bien sûr, La Closerie des Lilas) qui les accueille depuis toujours. Une réunion très sélecte et sélective. Ils se retrouvent donc avec leurs vieilles connivences et tout ce qui a pu se forger en au moins 20 ans d'amitié. Quoique. La séquence du début où Pierre Arditi (l'écrivain) éclate de méchanceté  et d'intolérance - même s'il affirme avoir de bonnes raisons de le faire - montre un vieus agressif, intolérant, trop sûr de son bon droit, bref, odieux. On se dit que la réunion des vieux amis commence bizarrement. De fait, derrière les figures imposées, derrière leurs numéros rôdés toute une vie, derrière le prétexte de ce repas stupide, et la bonne humeur affichée, toute à la joie des retrouvailles, Edouard Baer laisse finement percer un tas d'indices sur la mécanique qui grince, les réparties qui patinent, les vacheries qui font mouche, les rancœurs latentes, l'ennui ou le vide qui s'instillent sournoisement dans une conversation sans intérêt. Comme le demande l'un des convives (le plus absent et le plus sympathique de tous),  "est-ce que la conversation n'était pas plus intéressante, avant ?" En effet, ces ex-faiseurs de mode et d'opinion ne font que blablater et faire du bruit. Et quand il y a un blanc, ou un vide, ou une gêne, on porte un toast, et on recommence. Ces vieux ont une descente impressionnante, malgré la collection de maux qui les affligent à des titres divers : c'est la séquence succulente où ils s'informent mutuellement des pilules, comprimés et autres médications qu'ils avalent tous quotidiennement. La prouesse d'Edouard Baer, c'est de laisser infuser et filtrer ce qui est latent : rancœur, jalousie, mépris, mesquinerie... percent ici et là et sont de moins en moins évités ou contournés. Ils ont l'habitude que ça se passe bien, ils se souviennent que c'était bien, ça doit bien se passer bien et tout le déjeuner est une fuite en avant pour ne pas admettre que tout a changé, qu'ils sont vieux, nuls, fatigués, qu'ils s'emmerdent... et que tout ça coûte très cher. Les acteurs excellent dans cette comédie amère et désenchantée (mention spéciale pour le grand numéro de solitude de Benoît Poelvorde). Le jeu de massacre est parfaitement orchestré et exécuté.

mercredi 9 février 2022

Une Jeune fille qui va bien

Quelle arnaque toutes ces aimables critiques. Apparemment, Sandrine Kiberlain est sympathique et on ne veut pas la blesser en disant du mal du film. Mais cette jeune fille qui va (trop) bien génère un ennui durable et profond. Ses inlassables répétitions en vue du Conservatoire, ses inévitables dîners dans sa sympathique famille, son adorable grand-mère complétée d'un adorable papa et d'un non moins adorable frère (tout le monde il est gentil), ses amours naissantes... Tout va bien, même si un beau jour on doit porter l'étoile ou tamponner d'un "juif" sa carte d'identité : donc en effet, en arrière-plan, très très en arrière, il y a un vague soupçon que ça ne va pas si bien (genre antisémitisme) et on ne voit même pas que la France est occupée. Bref, cette jeune fille envahie par sa jeunesse est complètement aveugle à ce qui n'est pas son monde et ses préoccupations d'adolescente. Soit. Ça arrive, surtout à cet âge. Mais alors pourquoi en faire un film et surtout ce film insipide, sans émoi et sans aspérité. Même si l'actrice est charmante (quoique : exaspérante à force de sourire inexorablement, aimablement, charmantement, primesautièrement... Elle est souriante (puisqu'elle va bien). Légère, sympathique et aveugle en toute circonstance. Même quand son partenaire de scène disparaît, ça l'intrigue mais ça ne lui fait pas plus d'effet que ça. Elle ne suppose même pas qu'il a pris la tangente à cause de la montée des mesures antijuives, ni qu'il a pu être arrêté. Ou alors S.Kiberlain voulait montrer que l'adolescence est un âge un peu stupide et borné à ses propres et uniques centres d'intérêt ?

vendredi 28 janvier 2022

Nightmare Alley

 Guillermo del Toro. Au vu de la première scène, c'est un type bizarre qui arrive dans un cirque itinérant. Fauché, aux abois, il y creuse son trou en acceptant les pires petis boulots. Comme il est arriviste, ambitieux et astucieux, il monte en grade peu à peu, et particulièrement après sa rencontre avec la voyante sur le retour et son mari, mentaliste déchu. Il apprend les ficelles du métier etc.... Le film raconte d'abord l'ambition et l'ascension de ce type dans ce monde du cirque. La peinture de ce monde et de ses figures est séduisante et convaincante, colorée, chatoyante et effrayante à la fois, montrant l'envers de violence et de misère qui sous-tend le décor. Les personnages, les péripéties, les monstres, tout est pittoresque, bien senti et bien foutu jusqu'au moment où il quitte le cirque des bouseux pour réussir brillamment en ville, dans des salles chic et prestigieuses. C'est la deuxième partie. A partir de là, c'est toujours brillant et enlevé, toujours aussi parfait visuellement. Il y a  tout ce qu'il faut là où il faut, notamment Cate Blanchett qui apporte sa contribution spectaculaire et vénéneuse, mais c'est trop parfait dans la démonstration. Quelque chose cloche. C'est devenu une mécanique dont on attend le moment où elle va s'enrayer.  Ça devient un peu long, démonstratif, prévisible. Le charme se dissipe et on a bien compris que le monstre n'est pas forcément là où on l'attend ni celui qu'on croit.

samedi 22 janvier 2022

Anselm Kiefer au Grand palais éphémère




Hem, comment vais-je m’emmêler les pinceaux pour commettre un commentaire ? L’immensité de la tâche est à la mesure de l’immensité de l’œuvre. Je me lance. Je ne sais pas pourquoi je « marche », et même je galope chaque fois que je vois une exposition de ce peintre. (J’ai raté Monumenta il y a quelques années au Grand Palais, je ne connaissais pas Kiefer.) Je l’ai donc découvert une première fois à Pantin (Galerie Taddeus Ropac) et quelque chose a fonctionné. Sans que je sache ou me rappelle quoi. Je me rappelle que je déambulais dans l’immense galerie en m’approchant, reculant, scrutant, et en me disant que tout ça résonnait en moi, mais je ne sais pas ou plus comment ni pourquoi. Le deuxième choc a été à la rétrospective de Beaubourg. J’ai compris que j’aimais le stratificateur chez Kiefer. L’obsédé du passé et de la ruine, l’obsédé de macabre, de pourriture, de résurgence. Le stratificateur faisant feu du bois de l’histoire, à commencer l’histoire dont il est issu, né d’un pays en ruines qui a mis en pièces l’Europe en premier lieu (et le monde par propagation) et massacré des populations entières, que ce soit par principe (extermination par la shoah) ou par nécessité (à la guerre comme à la guerre). Comment est-ce qu’on grandit dans un univers en ruines ? En trifouillant les décombres, en agençant, en assemblant, en essayant des combinaisons à reprendre et à défaire. En s’obsédant de matière brute à recomposer, en faisant appel à la mémoire, la sienne et celle du monde, en convoquant des milliards de feuillets, des millions de livres, les brûlés, les disparus, les interdits, les profanés. En s’immergeant dans les cendres dont on se couvre aussi la tête, et en revenant aux fondamentaux : la terre, celle des sillons qui font germer la pourriture, la terre qui engloutit les cadavres, la terre qui se travaille en sillons pour semer une improbable renaissance, produire des germinations suspectes.
Kiefer montre aussi le feu qui devrait purifier, mais commence par détruire, j’ai vu d’extraordinaires explosions de lumière volcanique, des feux d’artifice d’apocalypse, des comètes, des explosions, des incendies ou des feux qui couvent sous la cendre, des secousses, des menaces telluriques, des volcans qui n’en finissent pas de se réveiller ou de s’éteindre, des paysages désolés, dévastés par l’hiver ou des corrosions suspectes, des proliférations et bourgeonnements louches, des végétaux mal en point, des champs de ruines ordonnés comme à la parade, à moins que ce ne soient des champs de blés ou les humains se dressent comme des millions d’épis à faucher. Humains, pauvres humains en haillons, comme des spectres, des épouvantails mal fagotés, déshabillés de paille et de chiffon. J’ai vu des sous-marins qui émergent dans des lumières de fin du monde et une ambiance de Jugement dernier, des météorites qui s’abattent sur la terre comme des bombes, des falaises qui n’en finissent pas de rougeoyer ou de guerroyer dans une tourmente illuminée par un soleil atomique, des blockhaus dans une nuit de folie. Kiefer peint la guerre, les hurlements de la guerre, les terreurs enfantines qui rejoignent celles des humains figés dans des tranchées où ils sont condamnés à mourir pour l’éternité. Kiefer peint l’enfer, la désespérance, et curieusement, une certaine jouissance à organiser le chaos, à l’orchestrer pour en faire sa chose, et curieusement, ça doit être ça qui me plaît, qu’il me promène dans le chaos dont chacun a conscience, juste à fleur de conscience, comme l’écho d’un inconscient collectif et de la tragédie universelle. Il effleure les remugles latents, il en faudrait peu pour que ça mue en plainte infinie, hululement sinistre et assourdissant, mais Kiefer reste le maître de l’enfer, il arrive même à insuffler de la poésie, des mots, de la beauté dans cette horreur profonde. Des lumières tragiques zèbrent le ciel, des végétations mutantes se fraient un chemin vers les noirceurs célestes, car c’est la nuit, la nuit noire, à moins que ce ne soit la lumière noire qui baigne tout son paysage. C’est son paysage mental qu’il nous livre, en le faisant résonner avec celui de Paul Celan (je dois me décider à lire Paul Celan).