samedi 29 décembre 2012

Les Bêtes du sud sauvage


Benh Zeitlin
Une poignée de survivants dans leur espace vital dévasté, le Bayou du côté de La Nouvelle Orléans. Cernés par la montée des eaux. Ils vivent leur chienne de vie dans un monde sans pathos, arrachent leur subsistance à la terre et à l'eau. Il faudrait les arracher de là, qu'ils troquent leur lien viscéral à la mère nature contre le monde policé et organisé où il y a des services sociaux, des hôpitaux où "l'on attache au mur ceux qui vont mourir." Une histoire sans issue entre un monde où ils ne peuvent plus vivre contre un monde où ils ne pourront pas vivre. On sort de là estomaqué par l'émotion, la fatalité, le tragique d'un monstrueux problème écologique et humain sans solution. 

samedi 8 décembre 2012

Städelmuseum


Prescription en cas d'accès de morosité : prendre le train gare de l'Est, et aller à Francfort, muni d'un bon livre (3h1/2 ?). Marcher tout droit en sortant de la gare, tourner à droite 2 ou 3 rues plus loin, jusqu'à une passerelle. Traverser le Main. De l'autre côté, il y a le Städelmuseum



 Collection captivante, d'une richesse inouïe. Au 1er étage, les classiques.

La Prophétie de la Sybille de Tibur (atelier Dieric Bouts 1420)


Orphée charmant les animaux 1610 (Roelant Savery) 

 - Le Paradis avec la création d'Eve 1636 Jan Brueghel D.J. (le jeune)
-Paysage de neige près d'Anvers- Lucas van Valkenborch 1575, 

Vue D'Anvers avec la Schelde (?) gelée

- Vue nocturne d'un canal avec barques de pêcheurs 1645 Aert van der Neer
- Le Lac de Harlem, 1656 Jan van Goyen
- Paysage montagneux avec personnages (1605 Jan Brueghel D.Ä)




DAVID TENIERS D.J (le jeune) : Le Fumeur dans l'auberge 1659
Des gens :
 - Le Fumeur dans l'Auberge paysanne (1629 David Teniers D.J.)
- Dame au verre de vin (1656, Gerard Ter Borch)
- Portrait de Simonetta Vespucci (1480 Botticelli)
- Fête ou foire paroissiale de village (1645 Adriaen Van Stalbemt)



 


BRAUNSCHWEIGER MONOGRAMMIST, Scène de bordel 1540


Et le cochon (il a plein de cousins un peu partout au gré des musées (au Wallraf à Cologne ?)

Adriaen von Ostade 1643










Natures mortes au Städelmuseum


J_B SIMEON CHARDIN 1748
CORNELIS DE HEEM 1658

Harmen Loeding 1665
JOHANN HEINRICH ROOS Stillleben mit toten Geflügel 1676

Les modernes au Städelmuseum

Max Beckmann :
La Gare de Francfort, 1942  + Synagogue, + Autoportrait 1919 , Glace sur le fleuve 1923

La Gare de Francfort 1942

Glace sur le fleuve 1923

Un très étonnant Edouard Munch : Dans la taverne 1890
Alfred Sisley, rive de la Seine en automne  1876
Ernst Ludwig Kirchner
Maurice Denis (né à Granville 1870) : scène de petit déjeuner (mère et 2 filles) 1901
Edouard Vuillard : La partie de dames 1902



Collection contemporaine au Städelmuseum



C'est au sous-sol, c'est un très bel espace, c'est la collection contemporaine, très réjouissante. Je  ne connaissais pas grand chose, c'était très bien. 
- Rainer Fetting : première peinture du Mur 1977
- Gerhard Richter, Kahnfahrt 1932
- Helmut Middendorf, Nuit électrique 1979
- Anselm Kiefer : Chemins de la sages : die HermannsSchlacht  (Battle of Teutoburg forest) 1978
- Karel Appel Portrait d'Emmanuel Looten 1956
- Georg Baselitz, Kopf 1963 et Still leben und Hockender Akt 1977
- Karl Horst Hödicke,  Straßenarbeiter 1976
Gerhard Richter, Kahnfahrt 1932
Helmut Middendorf, Nuit électrique 1979
Emil Schumacher, Salangan 1989


- Markus Lüperts***, Gelbes Haus 1997
- Leon Golub, Fallen Figuren 1971
-Thomas Bayrle, Die Stadt 1976
-Daniel Richter, Horde 2007
-Per Kirkeby*** Ohne Titel 1983
-Emil Schumacher***Salangan 1989
Eugen Schönebeck (portraits politiques) 1966


Daniel Richter, Horde 2007

Je n'imaginais pas que Goethe avait cette tête

Wilhelm Tischbein 1787 (Städelmuseum)

dimanche 21 octobre 2012

Butin


Une visite au musée, c'est quelques rencontres, 2 ou 3 visages glanés, des toiles qui font impression, jusqu'au moment de la saturation, le moment où plus rien ne passe. Parce qu'au début, on est tout content, on regarde n'importe quoi avec plaisir et curiosité - en fait, pas n'importe quoi, certains tableaux sont évacués d'emblée comme nuls, obsolètes et non-avenus, en tout cas dans son propre panthéon, et on se prend à plaindre le musée d'avoir à exposer des choses de plus ou moins belle facture, pour le peu que j'en sache, mais d'un ennui total : ça j'en suis sûre, je ne jette qu'un coup d'œil à certaines peintures, et elles m'inspirent tout de suite un ennui profond. Dommage, j'ai oublié d'en photographier.

Mais il y a celles qui intriguent et interrogent, même si on ne les aime pas forcément :
Pourquoi ce type m'intrigue-t-il ? D'après la notice, c'est un Portrait d'homme (c'est sûr, ce n'est ni une vache, ni un planisphère), l'auteur, ou plutôt la provenance, c'est Ancien Pays Bas du Nord, vers 1520-1540, et c'est le pendant d'un Portrait de femme, "caractéristique du réalisme septentrionnal de la fin du Moyen-Age". Certes, certes, mais ce qui m'intrigue, c'est l'humain, j'ai déjà vu ce type quelque part, il incarne quelque chose. J'hésite entre avocat et boucher.
S'il est avocat, c'est qu'il vient de boucler son dossier, il réfléchit à une dernière manière d'agencer son discours et de contrer un point délicat de l'argumentation de l'adversaire. Il est concentré, une certaine tension se lit dans l'expression serrée de la lèvre supérieure, le regard est sévère et intense (est-ce qu'il regarde quelque chose ou bien ça se passe à l'intérieur ?) et dans la crispation de la main sur le manteau. Il se rassemble et se prépare pour l'assaut final. Il est prospère, la pelisse est doublée de fourrure, son visage dénote l'homme de détermination et de pouvoir.
Ou bien c'est un armateur (mais je n'y crois pas), on vient de lui annoncer la perte d'un vaisseau en mer Baltique, un vaisseau chargé d'ambre et de fourrures (et de ??? houblon, de blé...) Il encaisse le coup et suppute comment équilibrer les pertes avec la flotte qu'il attend de Constantinople.
Deuxième hypothèse, c'est un boucher puissant, le président de la Corporation des bouchers, et il vient de remporter une vente importante à une importante foire aux bestiaux du nord, ou de réussir une avancée significative pour la Corporation. Mais c'est toujours la même chose qu'on lit dans son visage : la détermination et le sérieux, non dénués de quelques secrètes arrière-pensées, teintées de circonspection. A moins qu'il ne soit sur le point de triompher, mais qu'il n'ait pas encore l'intention de laisser éclater sa satisfaction.
Mais un historien de l'art va promptement me remettre à ma place et m'expliquer que je n'y suis pas du tout, que ce monsieur porte l'accoutrement caractéristique du banquier hanséatique, et qu'il évalue les avantages qu'il y aurait à marier sa fille Brunehilde à un homologue lombard.
(Palais des Beaux-Arts, Lille)

Babel, Palais des Beaux-Arts, Lille



Nom de l'œuvre ? de l'artiste ?


Babel, c'est autre chose (que Fables du Paysage flamand). J'ai aimé ces Fables comme un retour sur un ensemble de mythes et légendes, un voyage dans des paysages étranges et familiers, le sentiment d'appartenance à un vieux fond de légendes et de mythologies et de visions du monde. A tort ou à raison je vois des connivences avec l'exposition Babel, au sous-sol, là aussi il y a  des paysages, là aussi, ils racontent des fables, mais dans un tout autre registre. Il y a profusion de références mais c'est l'ambiance est toute autre. L'harmonie a disparu. Ce qui surnage ici, c'est l'excès, la surabondance des références, l'absurdité de tours érigées sur l'au ou dans le désert, l'intégration d'une infinité de données non maîtrisées, le non sens et l'angoisse.
Je retiens surtout les paysages de deux Chinois (nés à Shangaï), traités par superposition de références. Yang Yongliang choisit la vision classique de la peinture chinoise des paysages, revisitée par la gangrène de l'urbanisation. Zhenjun DU choisit de parasiter un point de vue classique (des monuments de villes européennes, par exemple) par une prolifération de superpositions.
Yang YONGLIANG Artificial Wonderland, 2008 Galerie Paris Beijing (et Phantom Landscape)
Zhenjun DU (1961) Galerie RX Paris

Toujours sur le thème de la prolifération, de l'excès, ou de la gangrène
Jean François RAUZIER (né à Sainte adresse 1952) : 
-Versailles / L’Art en direct Paris, Boulogne Billancourt
- MontJuic 2010 / L’Art en direct Paris, Boulogne Billancourt
- Tours Abu Dhabi 2010



MontJuic 2010
Abu Dhabi 2010

Et aussi Florian JOYE






Yang YONGLIANG, Babel, Lille


Artificial Wonderland, 2008 Galerie Paris Beijing (et aussi Phantom Landscape)

Comment la croissance a gangrené le paysage traditionnel tel qu'il est célébré par la peinture traditionnelle.










Palais des beaux-Arts, Lille


Zhenjun DU, Babel, Palais des Beaux-Arts, Lille


Né à Shanghai 1961 
Galerie RX Paris


Le premier tableau à gauche est composé à partir de références européennes (Old Europe)
Les quatre autres évoquent (la Chine ?), une tornade (?) une inondation (Flood) et "L'Accident. 
(+ reflets pourris dans mes photos)







Fables du Paysage flamand



Lille, Palais des Beaux-Arts
On les connaît vaguement, ces peintures, éparpillées au gré de visites dans des musées ou de reproductions ici ou là, elles fourmillent d'histoires, d'anecdotes et d'arrière-plans, on les connaît vaguement, si bien que c'est un bonheur de les trouver rassemblées pour une balade dans des mondes imaginaires, des récits bibliques, ou mythologiques. On rencontre des créatures étranges, des fourmillements d'humains, de bêtes, d'êtres hybrides. On trouve les best-sellers : les Saint-Jérôme et son lion, les Saint-Christophe et son Jésus-monde sur les épaules, on avale des Tentation de Saint-Antoine, des Montée au calvaire, des Jugement dernier, des Enfers et des paradis. Ces êtres mythologiques (Enée, Vénus, Icare...) ou bibliques (Jonas, Loth et ses filles) font incursion dans ce  monde de la Renaissance... : tout ça fourmille et foisonne, on scrute des détails, chaque parcelle d'un tableau est tableau à elle seule, les détails symboliques côtoient les détails triviaux : des chevaux ruent, des hommes pissent ou défèquent, des chiens lapent de l'eau, des manants ou des soldats font de la figuration, ou poursuivent leurs activités, indifférents à la scène qui est au cœur du tableau.  L'observation de ces trognes, l'inépuisable variété des figures humaines, des espèces végétales, les postures des chevaux, la contemplation des supplices de l'enfer, ou de paysages merveilleux... Et toujours ces montagnes, ces arches rocheuses, ces arrière-plans bleutés, ces villes ou villages qu'on distingue dans le lointain, et toujours un fleuve ou une rivière, de l'eau... C'est du cinéma, en technicolor et 3D, avec la logique d'un rêve, où plusieurs plans peuvent cohabiter et se juxtaposer. Cette peinture met en appétit, on a envie de tout voir, tout prendre et tout comprendre, tout absorber pour s'en imprégner et se balader à l'ombre de cette profusion d'images et de légendes. 
Reflet du Palais des Beaux-Arts vu de l'auditorium

jeudi 11 octobre 2012

Vous n'avez encore rien vu


Alain Resnais. Qu'est-ce qui manque à ce film ? De la vitalité. Du souffle. De l'air. Sinon, c'est propre, les acteurs connaissent leur métier, on s'ennuie et on s'intéresse poliment, les décors sont bien.

dimanche 23 septembre 2012

Louis Soutter

http://www.lamaisonrouge.org/IMG/pdf/petit_journal_expos_ete_2012

Tout près du port de l'Arsenal, la Maison rouge : comme le hasard fait bien les choses, c'était le dernier jour de l'exposition Louis Soutter. Vague souvenir d'avoir lu qqch de bien à ce sujet, et l'affiche confirmait que ça risquait de me plaire : révélation, extase et contemplation, c'est magnifique. Un jour où je serai inspirée, je trouverai peut-être moyen de développer l'impression de force, de cohésion et aussi de noirceur ou de dérision qui se dégage de son œuvre. Et voilà.


jeudi 20 septembre 2012

La Clepsydre


Wojciech Has,
d'après plusieurs nouvelles de Bruno Schulz. 
Ouf, quel morceau, "chef-d'œuvre onirique et baroque", plein d'images incroyables, de transitions improbables, les figures du rêve apparaissent, disparaissent, changent de registre, quelle merveille.
Le film qui commence par un voyage en train, ou plutôt par le vol d'un oiseau à travers le ciel et les branches des arbres, et l'on découvre que le plein écran se réduit finalement à la fenêtre d'un train et pose la question de la réalité de ce qu'on regarde.
C'est donc un voyage. Un voyage dans le temps ? Saisissantes images du voyage dans ce train d'un autre temps, comme en décomposition, qui transporte des figures d'un autre monde, figures perdues de Juifs du temps d'avant -avant la shoah ? avant la disparition du shtetl ?- vers une mystérieuse destination (ça rappelle quelque chose). 
Dès le début, le sujet est indécidable, ce sont des vrais gens, ces corps bizarres ? Ce sont des morts ? des malades ? ils dorment ? ou est-ce un rêve ?  Le contrôleur prévient Josef qu'il arrive, et répond à Josef, qui lui demande comment il trouvera son chemin, qu'il n'y a pas de chemin, qu'il trouvera tout seul. C'est le propos du film : rien n'est linéaire, le personnage se laissera guider à l'instinct, les séquences du film s'enchaînent comme celles d'un rêve, par le hasard et la nécessité de sa quête. 
Josef traverse un cimetière pour arriver à une maison à l'abandon, une immense porte fermée ouvre sur des tombes, il entrera par une porte dérobée dans un bizarre sanatorium tout en corridors, pièces, départs d'escaliers, qui semble à l'abandon et dévasté. 
(Quelque temps plus tard, la même porte ouvrira sur un jardin luxuriant.) 
Un étrange docteur, qui fait figure d'analyste plus que de médecin, et ne manque pas de sauter la jolie infirmière, explique les arcanes du temps et des intervalles, et les principes thérapeutiques du sanatorium. 
Dans ce sanatorium, on réactive le temps passé, mais on ne sait plus où est le vrai temps, et où est l'intervalle. C'est un espace où le temps est en retard d'un intervalle, mais on ne connaît pas la durée d'un intervalle, et où les patients dorment, mais quand ils se réveillent, c'est peut-être qu'ils rêvent. A moins qu'ils ne soient morts ? 
Commence alors la quête de soi et - ce qui revient au même - la quête du père (son père Jacob), dans les labyrinthes de la mémoire.  "Il est donc vivant?" demande Josef en arrivant au sanatorium.
Relier les fils du passé, le père, la mère, l'enfant qu'il était, la communauté juive, sa ville, les femmes... , par une série de rencontres aussi logiques que celles du rêve, peuplées de personnages étranges qui rejouent des scènes de sa vie, à moins que ce ne soient des scènes de rêve. A propos de personnages, le fabricant des figures mécaniques explique : "on les suspend/ arrête au moment de leur minute de vérité, là où ils se sont arrêtés d'évoluer : chaque "personnage" rejoue à l'infini la scène primale (?) constitutive de sa vie, de son ancrage dans le monde. N'est-ce pas diablement psychanalytique, ça aussi. Et cauchemardesque.
La beauté dévastée des décors et des images est fascinante, c'est plein d'escaliers et de tiroirs, de dérivations, coqs à l'âne, d'obsessions et de mystère (mystère de la vie cachée et des disparitions de Jacob, les femmes, probablement) la maman, la boutique de tissus, les calicots, le prince Maximilien, les figures mécaniques... 
C'est le plus beau film que j'ai vu depuis longtemps. La scène finale est magnifique






dimanche 16 septembre 2012

Des Hommes sans loi

(Lawless) John Hillcoat
Une ambiance bien épaisse et bien dense chez les bouseux distillateurs et trafiquants d'alcool sur fond de prohibition. D'après l'histoire vraie des frères Bondurant, dans le comté de Franklin, en Virginie. Prenant. La fille du pasteur (Mia Wasikowska) est délicieuse.

Millevaches



Balade, donc, au plateau de Millevaches. Paysage rural de landes, pâturages, forêts, cric cric cric je remonte le ressort, je rêve des Millevaches depuis les leçons de géographie à l'école, l'idée de Millevaches me paraissait énorme et incongrue, un troupeau de mille vaches, ça avait l'air mythologique et unique, il aurait pu aussi bien y en avoir dix mille, un immense troupeau chaud et frémissant, évoquant les dieux de la fécondité et de la fertilité, la puissance de la terre, une forme d'apothéose. Sur un plateau, en plus, à la lisière du ciel, évocation propice aux génies de l'air, dieux solaires et lunaires, Mars, Jupiter et la féminine Déméter, tout pour la puissance du rêve et de la fécondité, et ces beaux boeufs qui labourent la terre pour l'engrosser. Mais à ma grande déception, les Millevaches n'ont rien à voir avec les bovidés : "l'étymologie du terme local vacca lui attribue des origines celtes ou encore de langues germaniques : batz, qui voudrait dire « source », pour former le nom mille vacca, « mille sources», qui aurait donné par extension « Millevaches » (Wikipédia). Ce seraient donc mille sources. Va pour l'eau, elle aussi peut alimenter le moulin à balivernes. De fait, l'eau est partout, dans les sources, les ruisseaux, les tourbières... Des étangs et des lacs parsèment le paysage.
La Vienne


Les chemins sont bordés de fougères, de genêts, de mûriers, de bruyères, et le regard porte tantôt sur des horizons lointains, tantôt est arrêté au creux des vallonnements, erre sur les pâturages et les tourbières. Mais le désastre, ce sont les cônifères. Dès que pâturages et tourbières s'arrêtent, les forêts de cônifères uniformisent et assombrissent le paysage. Il reste heureusement quelques forêts de hêtres et de feuillus, mais le cônifère est partout, en alignements monotones, pratiques et rapides à exploiter. Le plan d'accaparement des sols a pris son essor après la deuxième guerre mondiale, les propriétaires exploitants ont fait arracher au bulldozer des forêts entières de hêtres, ils ont envoyé des avions déverser du défoliant, comme au Vietnam, pour éviter la repousse des feuillus, et ils ont massivement planté ces forêts sans lumière et sans âme qui font le vide à leur pied. Pas question d'y dénicher le moindre cèpe, richesse locale, dont les habitants arrivent à garder quelques cachettes secrètes, quand surgissent  les prédateurs venus d'ailleurs pour les piller. 




Se balader sur les Millevaches est une expérience pleine d'un charme nostalgique et tranquille, on sent que le paysage pourrait devenir âpre, et de fait, en hiver, il l'est, très arrosé, qui plus est, paraît-il, mais à la fin de l'été, dans une lumière doucement pluvieuse ou dans les brumes matinales, ou le lendemain au soleil tiède et radieux de septembre, les douces déclivités, l'alternance tranquille des paysages, les troupeaux qui paissent et nous regardent curieusement, quelques ânes, ici et là un troupeau de moutons... tout  rappelle le rêve d'une nature et d'une innocence en perdition, parce qu'on ne croise jamais personne et on ne traverse que des villages déserts, où presque tous les volets sont fermés, et les rares hôtels ont fermé, eux aussi. 





Quand on rencontre un rare paysan, il est rare qu'il soit jeune, on se demande qui, dans dix ans, va bien pouvoir s'occuper de ces vaches et de ces moutons. Heureusement qu'on trouve de loin en loin quelques foyers qui ont choisi de vivre autrement, ou qui vivent leur deuxième vie autrement, en produisant des fromages ou du pain, cultivant quelques fruits et légumes, élevant des chevaux, accueillant les hôtes de passage. 


Chambre d'hôtes à Chavanac




jeudi 6 septembre 2012

Killer Joe


William Friedkin (celui de French connection, L'Exorciste) 
Crade, efficace, très violent. Une famile de prolos, un tueur qui se la pète, c'est limite caricatural, mais ça marche. L'histoire d'un petit dealer aux abois, Chris (Emile Hirsch, celui d'Into the wild) qui doit du fric à de plus gros dealers, et engage un tueur à gages, Killer Joe (Matthew McConaughey), pour toucher une prime d'assurances. 
Citation de Chris : "le Texas, c'est des bouseux avec trop d'espace autour d'eux"
Sa sœur, Dottie (Juno Temple), est délicieuse et remarquable. 

mardi 4 septembre 2012

Le mystère de Babel


Pieter Brueghel l'Ancien, Kunsthistorisches Museum de Vienne


Je ne me rappelais pas que Babel arrivait si vite dans la Genèse. C'est étrange. Les hommes disent : "allons, bâtissons-nous une ville avec une tour qui atteigne le ciel pour nous faire un nom et ne pas être dispersés sur la face de toute la terre". C'est une idée plutôt louable. Mais Yahweh en prend ombrage : "Voici, ils forment un seul peuple avec une même langue pour tous ; ils se mettent à l'œuvre, et aucun projet ne leur paraît impossible." Il me semble qu'on parle d'orgueil quand on raconte cette histoire. On devrait plutôt parler de l'orgueil de Yahweh, qui ne supporte pas que les hommes aient ensemble un grand projet, un projet où apparemment Yahweh n'est pas. L'orgueil de Yahweh égale bien celui des hommes. Et Yahweh de brouiller leur langage et les disperser à la surface de la terre, et ils ne s'entendent plus et ils cessent de bâtir la ville. C'est mystérieux, incompréhensible et méchant.

Une peinture de Brueghel me réjouit et m'interroge (Pieter Brueghel l'Ancien, Kunsthistorisches Museum de Vienne.) D'après cette peinture, si l'histoire finit mal, ça ne se présente pas si mal, à ce stade. En tout cas, c'est peint avant la catastrophe, même si c'est juste avant. Certes, ils ne sont pas au bout de leurs peines et la construction est loin d'être achevée. Mais elle n'est pas arrêtée non plus. Le commanditaire est à gauche, sur une éminence, et les architectes / maçons sont prosternés à ses pieds (réunion de chantier).
La peinture montre un édifice ambitieux et complexe, encore inachevé, avec des échafaudages sur divers fronts. Apparemment, il reste un énorme travail à accomplir, mais ce qui est fait donne la mesure de l'ingéniosité, de la  patience et de la méticulosité bâtisseuse. L'édifice donne à scruter des alvéoles et des niches innombrables, et à deviner les travées et connexions secrètes de la ruche bourdonnante. La plaine s'étend autour, calmement, benoîtement étrangère à l'édification de cette citadelle du savoir ? du pouvoir ? où seraient rassemblés tous les savants et tout ce qui se pense et se crée dans le monde. Il serait question d'ambition et d'élévation, de perfection et de dépassement. 
A moins qu'il n'y ait là qu'un concentré d'orgueil, et d'ennui, aussi, si l'on pense aux pontifiants professeurs et ratiocinateurs qui doivent sévir dans les couloirs. 
A moins qu'on ne regarde ça sous un angle vaguement carcéral, comme une  forteresse du totalitarisme intellectuel. On n'aurait plus qu'à plaindre les forçats de la pensée, les soutiers de la raison tapis dans les entrailles de cette monstrueuse machinerie de l'intelligence. C'est peut-être la coexistence des deux impressions qui crée la fascination et le mystère qu'inspire ce tableau ? C'est aussi l'idée du temps suspendu, au moment de la dernière réunion de chantier, juste avant que le projet ne tombe en ruine, ne vole en éclat. Parce qu'à l'arrière plan fatal, on sait bien que Babel est un échec ; en même temps qu'on voit un édifice en construction, on devine sa ruine, et même avant cela, on constate l'écrasante ampleur de la tâche, et l'impression qu'on n'en viendra jamais à bout. A force d'avoir été entrepris sur tous les bords, par tous les fronts, avec des échafaudages un peu partout, les travaux ont l'air en plan, et les commanditaires seront ruinés entre temps, et une guerre aura éclaté, et les savants se débanderont, ou bien ils se rebelleront et refuseront cette vision carcérale de la pensée et du pouvoir de la pensée. Bref, le ver est dans le fruit, et ce sont ces impressions mêlées que l'on ressent en contemplant ce tableau d'une construction humaine vouée par avance au néant. 
Finalement, peut-être que Dieu n'est pour rien dans le désastre de Babel, l'orgueil des hommes se suffit à lui-même.