mercredi 25 novembre 2015

Le Conformiste

Bernardo Bertolucci. (Jean-Louis Trintignant)
Ce film m'avait déjà fascinée à sa sortie. Fascinante, la solitude de cet homme qui veut se fondre dans la normalité pour être comme les autres, avec les autres. Fascinant le cynisme avec lequel il endosse les chaînes et codes de l'appartenance - en l'occurrence le fascisme et le mariage - alors qu'il est à part. Glaçante, cette manière d'évoluer sans affect dans la voie qu'il s'est choisie. Il intrigue pour entrer dans la police secrète. Il condamne son originale de mère, héroïnomane friquée avec amant-chauffeur. Il épouse celle qu'il sait être une petite bourgeoise charmante et ordinaire (une conformiste authentique, avec ce que ça suppose d'hypocrisie et d'arrangements avec la morale). Bref, le loup solitaire se fond dans la masse. Sauf qu'à Paris, chez le professeur Quadri, il est troublé par la liberté de pensée du professeur, et surtout troublé par sa femme (Dominique Sanda). Un trouble qui fait vaciller l'édifice de cynisme et de froideur calculatrice.
On se demande ce qui motive cet arriviste sociopathe. Tirer son épingle du jeu ? Echapper à la culpabilité du crime de son enfance ? Masquer ce qu'il y a de différent en lui ? Jusqu'à la révélation finale, où, dans la marée des ex-fascistes nouveaux démocrates, brutalement, hystériquement, il pète un câble et retourne sa veste. Comme s'il adhérait enfin viscéralement, et non plus par calcul, à ce qu'il est, un traître, un opportuniste et un lâche. Et là, il se fond réellement dans la masse.
Le miracle, c'est cette tension permanente entre l'énigme d'un homme dont on se demande jusqu'où il peut aller dans le mensonge, l'ignominie et la trahison, et des plans d'une beauté hiératique (les bureaux de la hiérarchie fasciste, la scène de l'asile, l'arrivée chez sa mère, les extérieurs à Paris -le Pont de Bir-Hakeim, le quai et l'immeuble où sera tourné le Dernier Tango, l'hôtel d'Orsay, quand ce n'était pas encore un musée- le bal à Joinville, la poursuite en voiture, la scène du meurtre, la magnifique scène de défascisation à Rome).

dimanche 8 novembre 2015

Le Fils de Saul

Ce film me dérange. C'est sans doute fait pour ça. Mais il me dérange parce que je ne trouve jamais la bonne distance pour regarder ça. D'accord, il n'y a pas de bonne distance pour regarder ça, je suis dans la vision de Saul, je ne quitte presque jamais sa nuque, le col de sa veste et le 3/4 dos, et je ne vois pas plus loin que ça (et j'en ai marre). Je n'en finis pas de traverser l'enfer, mais je ne vois rien, parce que tout est flouté. C'est normal, ils n'allaient pas montrer des centaines de corps poussés vers la mort, qui deviennent des centaines de cadavres poussés vers les fours, parce que ce n'est pas un film gore. Et dans le flou, il y a aussi le bruit, un bruit permanent, insupportable, et le désordre indescriptible des hommes qui s'agitent pour accomplir la solution finale. Le rythme forcené dans lequel tortionnaires et kapos sont liés. L'urgence qu'il y a à pousser les corps dans les chambres à gaz, les dépouiller, les déblayer, faire disparaître leurs cendres, et survivre. Et dans ce chaos, il y a Saul qui ne voit rien non plus, parce qu'il se donne un cap, il se met en tête de donner une sépulture à l'innocence, et il devient aveugle -ou absent - au reste. Je ne comprends pas pourquoi il faut le suivre. C'est l'enfer, et il veut que je regarde ailleurs. C'est l'enfer, et je suis ailleurs. J'ai hâte que ça s'arrête.

mardi 3 novembre 2015

The Lobster

Yorgos Lanthimos
Ce film étrange donne envie de savoir ce qu'a déjà réalisé l'auteur : Canine (2009), Attenberg (2010) et Alps (2011), avant The Lobster, bizarrement classé à "science-fiction". Ça se passe dans un futur proche de nous, et s'il y a de la science, là-dedans, c'est plutôt de la science des comportements. Ou plutôt sa négation. Tout ce qu'il y a d'intuitif, d'approximatif, de spontané, d'erratique dans la rencontre ou la relation entre les gens est biaisé, nié, éradiqué.
Ça se passe donc dans un monde où la vie de couple est obligatoire. Les célibataires (veufs, divorcés) sont transférés dans un hôtel où ils ont 45 jours pour trouver leur partenaire. S'ils échouent, ils sont transformés en l'animal de leur choix. L'emploi du temps des candidats est strictement élaboré. Chaque journée est découpée en séquences ; les comportements et conduites à tenir à chaque séquence sont codifiés, les  écarts sanctionnés. Les candidats ont intérêt à rester dans le rang, et s'il y a révolte, elle ne peut être qu'intérieure, tandis que l'échéance des 45 jours se rapproche, et que la probabilité d'échouer grandit.
Le film montre différentes stratégies d'adaptation, ou pas, des candidats à ce conditionnement. A l'extérieur du camp (on a envie de dire camp, mais c'est un hôtel), il y a les Solitaires, qui se cachent dans la forêt, et obéissent à leurs règles. Tout le film laisse une impression étrange, bizarre, désagréable, parce que cette dictature des comportements contrecarre et piétine tout ce qui est l'essence des relations humaines. La musique, dissonante, dérangeante, joue elle aussi un rôle étrange.