samedi 31 juillet 2021

Bergman Island

Mia Hansen-Løve. Hem. C'est une curiosité pour les amis de Bergman : sans avoir à faire le voyage, on visite "son" île, Farø, divers lieux de tournage de ses films, sa tombe, sa maison... et on découvre la bergmania ambiante ; on apprend aussi quelques détails de son caractère (désagréable). Le reste (notamment la délicieuse Vicky Krieps) a un certain charme, mais pas grand intérêt. C'est une aimable balade qui évoque les interférences entre la création, le cinéma et la vie en effleurant des sujets comme l'amour, le couple, les tourments de la création. Comme Bergman, en somme, mais en version vraiment soft.

vendredi 30 juillet 2021

La Loi de Téhéran

Saeed Roustayi. Le film commence par une haletante course-poursuite aux trousses d'un dealer. Un semi-échec, prélude à un changement de méthode. Lassé du menu fretin et pour mettre la main sur un gros poisson, le chef de la brigade des stupéfiants de Téhéran orchestre un gigantesque coup de filet dans les bas-fonds de Téhéran (incroyable traque dans le bidonville de canalisations, suivie d'une non moins spectaculaire scène d'incarcération dans des geôles sordides). Les raflés, c'est la "matière" de l'enquête, c'est ce ramassis de voyous et de drogués que les flics vont cuisiner, acculer, menacer pour qu'ils lâchent des infos sur leurs fournisseurs. Curieusement, au gré des scènes "coups de poing", des interrogatoires, chantages, arrestations, trahisons, brutalités, manipulations, menaces pour mettre la mains sur le "boss", le réalisateur porte sur cette misère un regard d'une humanité étonnante. Même chez le dealer, malgré ses ruses, mensonges et autres échappatoires, une forme d'humanité transparaît à mesure que l'étau se resserre. On en vient à admettre, dans ce chaos, que la drogue est un des rares vecteurs d'ascension sociale quand on vient des bas-fonds, le moyen de protéger sa famille, l'extraire de cette vie de merde, envoyer les enfants à l'université... Quant au final, c'est une conclusion d'une violence glaçante. Film puissant, noir, désespéré, désespérant avec en filigrane une impression de fatalité et d'impuissance et l'idée que tout sera toujours à recommencer.

lundi 26 juillet 2021

Titane

Julia Ducournau

Apparemment j’ai passé l’âge. C’est trash et cash (et un peu long et chiant puisqu’on reste assez extérieur à ce torrent de violence convulsive), et ça raconte une sombre histoire de blessures de l’âme, du corps et du cœur. Personne ne va bien là-dedans, le spectateur non plus, vu que les scènes du début sont vraiment dégueulasses. C’est aussi un peu pompier (et pas seulement parce que la deuxième partie se passe dans une caserne avec à sa tête un bizarre commandant stéroïdé en mal d’amour paternel - Vincent Lindon fait bien le job). Sous son commandement, et avec l’irruption de la déglinguée du début, toute la caserne prend une étrange couleur, toute de noirceur, de flammes et de fureur, et vas-y que je balaie les thèmes dans l’air du temps : la question du genre, de l’amour (ou l’absence d’amour) paternel, de la filiation, la machine érotisée, et au-delà, un peu de fantastique pour égarer l’entendement. Au passage, les hommes ne servent à rien, là-dedans, soit ce sont des gros machos relous, soit une tribu étrange -les pompiers- , soit Vincent Lindon, complètement barré. En fait, à part la sociopathe (Agathe Rousselle) et le commandant,  il n’y a pas d’individus ni de personnages dans ce film, il n’y a que des figures dépersonnalisées.
Donc après une ouverture en forme d’accident de voiture, (conclusion d’un pénible conflit entre un père et son enfant - fille ou garçon ?) l’enfant émerge avec une plaque de titane dans le crâne. On est alors propulsé 10 ou 15 ans plus tard, dans une sorte de salon de l’érotisme automobile, ou de l’automobile érotique ? où des créatures de rêve se livrent à des attouchements, frottements, et glissements suggestifs contre les flancs ou capots des voitures. (Métal, quand tu nous tiens !) C’est quoi, ça ? Une critique ? Un cliché ? Bref, l’une de ces créatures qui n’est autre que la petite rescapée, se révèle passablement sociopathe, agitée de pulsions meurtrières hyperviolentes dès qu'on l'approche : elle est portée à la fois sur le meurtre sans préméditation et la jouissance automobile. Il semble qu’il est possible de jouir férocement d’une bagnole et de s’en trouver engrossée. Ça, c’est pour le 1/4 d’heure fantastique façon Alien, avec les fuites de d‘huile de vidange qui en découlent. Comme c’est étrange, mais il est vrai que depuis l’épisode « titane dans le cerveau », Alexia entretient d’étranges rapports avec le métal et ensuite, avec la chose étrange qui pousse dans son ventre.
D’ailleurs, tout ce film entretient d’étranges rapports avec la réalité. Le salon de l’automobile, le parking, la caserne, tout a une drôle de couleur mais rendre tout déroutant, ça ne suffit pas à rendre le film captivant. C’est too much.

lundi 19 juillet 2021

Gabriel Chabrat, fresques et vitraux de Sous-Parsat

 Une découverte extraordinaire à l'église de Sous-Parsat dans la Creuse : les fresques et vitraux contemporains de Gabriel Chabrat, un peintre creusois né en 1936. L'église est entièrement décorée de ses fresques, il a aussi conçu les vitraux ; le résultat est une immersion dans un univers incroyablement dense et puissant, à la fois familier et énigmatique. C’est une étrange inspiration entre réalisme, expressionnisme et abstraction. Réalisme, parce qu’on reconnaît bien les sujets et poncifs de l’ancien et du nouveau testament et autres « morceaux de bravoure » : l’Arche de Noé, Abraham et Sarah, l’Exode, l’Annonciation, la Cène, la lutte du bien et du mal, l’Apocalypse etc, mais aussi expressionnisme parce que les sujets sont traités avec une féroce acuité d’expression, une épure des traits, des formes, des corps, des visages, et des couleurs pures, tranchées, vivaces. Sous certains angles, le sujet frise aussi l'abstraction parce que le trame se fond par endroit dans une autre vision, une perception mosaïque en carreaux et triangles de couleur qui ne garderait que l’essentiel des lignes de force.
Cette puissance d’expression prolifère sur les murailles, bourgeonne jusqu’au voûtes, s’infiltre dans les angles, n’épargne aucun recoin, toute l’église en est enduite, vibrante, habitée. On reste scotché, stupéfait et médusé par ce qui est à la fois une création extraordinaire et une puissante interrogation adressée au ciel.







jeudi 1 juillet 2021

Close up, Abbas Kiarostami

Abbas Kiarostami

Le film commence par une arrestation dans une villa d'un quartier chic de Téhéran. Un journaliste en quête de scoop accompagne la police pour mettre en scène et photographier l'arrestation d'un imposteur : il s'est introduit dans une famille bourgeoise en se faisant passer pour Mohsein Makhmalbaf, un cinéaste connu. Intrigué par l'article paru dans la presse, Kiarostami décide de rencontrer l'homme et de filmer son procès. 
 
Quel film puissant, d'une extraordinaire et foisonnante limpidité et sensibilité. 
D'un côté, l'accusé, Sabzian : un homme sensible et intelligent,  mais sans valeur, sans pouvoir social ni pouvoir d'expression. Il raconte, au fil du procès, le rôle du cinéma dans sa vie et l'importance de Mohsein Makhmalbaf, ce cinéaste qui exprime tout ce que lui-même n'a jamais su exprimer. Notamment dans le film Le Cycliste, qui le touche au delà de tout, par ce qu'il y trouve d'analogies avec sa propre vie. (C'est aussi ce film qui lui sert de clé pour entrer dans l'univers de la famille Anhakan).
En face, les plaignants, la famille Anhakan, des possédants (pouvoir économique et social), des bons bourgeois de Téhéran, abusés par Sabzian par le hasard d'une rencontre en bus où quelque diable a poussé Sabzian à se faire passer pour ce Makhmalbaf. Sésame qui lui donne accès à tout ce dont l'exclut sa classe sociale (modeste imprimeur qui arrive à peine à faire vivre sa famille). Il est accueilli dans la villa chic, il est écouté, apprécié, consulté, respecté. Sa parole et son avis comptent. Il réussit même à faire rêver un des fils, ingénieur au chômage, de jouer dans le film qu'il a en projet. 
Jusqu'à ce qu'il soit démasqué, arrêté, jugé. D'où le procès conduit par un juge enturbanné et barbu que l'on découvre très humain, attentif au pourquoi et comment de cette étrange affaire. D'un côté, la frustration humaine et sociale d'un "petit". En face, des possédants en quête de réparation, blessés/vexés d'avoir été abusés par le faux cinéaste.
En plus du regard du juge, il y a celui de Kiarostami qui filme. Et à l'arrière plan, celui du public élargi qui verra le film du procès. Un procès étonnamment équilibré, avec un juge attentif à rendre une justice qui soit aussi une morale, attentif à maintenir la cohésion du lien social, où chacun doit tenir sa place dans le respect de soi-même et de l'autre, attentif à obtenir à la fois le pardon des plaignants et la repentance de l'accusé. D'ailleurs, personne n'est perdant et chaque protagoniste garde son humanité et sa dignité. 
C'est finalement le journaliste qui a le mauvais rôle avec sa mise en scène de l'arrestation qui chosifie le suspect, fait de l'arrestation un spectacle et rend tout superficiel. Le voyeurisme en prime.