mardi 28 février 2017

Karel Appel

Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Quel appétit, quelle vitalité, quelle puissance. Une force dionysiaque. Toute en liberté et énergie créatrice. Un regard halluciné, extravoyant, ultralucide qui scrute les lignes directrices derrière les apparences. Derrière le masque, la figure humaine, trop humaine, pleine de peurs, de blessures, de noirceurs. Ou d'une étrange humanité, comme celles de César et de Michel Tapié. Tout cela est extrêmement intriguant et intéressant. Quelque chose fait qu'on revient sans cesse sur ces figures pour les scruter, les interroger. Et il y a aussi le rire tonitruant de ces ânes dans le cirque de la vie. Et ces drôles de figures du cirque, joyeusement naïves, simplement et drôlement complexes.




Portrait de Michel Tapié de Céleyran, 1956, critique d'art et organisateur d'expositions




(vue partielle de 4 panneaux : à gauche un personnage avec un oiseau, à droite, les décapités)













vendredi 10 février 2017

Silence

Martin Scorsese.
Le plus évident, c'est la beauté du film, des cadrages, des décors, pour mettre en scène une histoire étonnante : deux prêtres portugais partis en terre inconnue à la recherche d'un premier qui n'a plus donné signe de vie, qui partent aussi pour continuer à évangéliser.
Le contexte : un Japon fermé aux influences étrangères (vers 1640), hostile à la vision chrétienne du monde et à la volonté de christianisation perçue comme l'ingérence et l'impérialisme du monde occidental.
Les deux prêtres sont d'abord confrontés à l'étrangeté et à la cruauté du monde, à la marge du Japon, là où ils ont débarqué clandestinement, chez des pauvres pêcheurs chrétiens persécutés. Lesquels ont une foi irréductible, une soif intense d'un prêtre, de sa parole, de son intermission pour bénir, confesser, donner une direction et un sens à leur foi. Là, les prêtres commencent à flipper devant une attente aussi absolue, comme s'ils étaient le messie, alors qu'ils n'en sont que ses émissaires. On dirait que la tâche va être trop lourde pour eux. Mais bon, soutenus par leur foi, ils peuvent faire encore abstraction de la réalité. Et croire.
En face, il y a l'élégance hiératique et implacable du pouvoir, acharné à conduire les persécutions pour éradiquer le christianisme. Jusqu'au fond de l'âme des prêtres. Les autorités ont compris qu'elles n'arriveraient à rien par le martyre, tous y sont prêts, les pêcheurs comme les prêtres. Mais pire que sa propre mort, il y a celle des autres. Jusqu'où la fidélité à ses convictions justifie-t-elle le martyre des autres ? Que vaut la défense de ses convictions face à la souffrance d'un homme ?
Réponse ??? Le film est une interrogation sur le silence de Dieu et la réponse impossible. Du fond de sa détresse, le prêtre s'identifie à Jésus au jardin des Oliviers, qui lui aussi implorait un signe de Dieu "pourquoi m'as tu abandonné". Péché d'orgueil apparemment. La seule loi est celle du silence, et de la manière de s'en accommoder.
Que vaut l'idéal chrétien face à une autre vision du monde ? Qu'est-ce qui peut briser la foi, l'intime conviction d'un homme, son sens de l'honneur ?C'est un film beau et lent, captivant par la mise en scène hiératique, la solennité et la puissance de deux visions du monde qui s'affrontent.
(Mais prêtres et pêcheurs ont un petit quelque chose de faux, ça sent son cinéma. Ils sont trop bien maquillés et salis. En revanche, les Japonais d'en haut s'en sortent bien parce qu'ils sont parfaitement stylisés dans des décors impeccables).

Libération parle de fresque historique, il me semble que ça n'a rien d'une fresque historique, mais plutôt du point d'équilibre où va se fixer un personnage, sur fond de trame historique. C'est un dialogue de soi avec soi. Une histoire d'intime conviction vacillante. Jusqu'où ?

jeudi 9 février 2017

LaLa Land

Damien Chazelle. Une délicieuse immersion dans les comédies musicales d'antan, avec un sens aigu de la couleur et des mouvements. LaLa land réunit très agréablement les poncifs du genre et réussit un film qu'on pourrait avoir vu 100 fois, entre la jeune serveuse rêvant de carrière hollywoodienne, le musicien rêvant de percer avec "sa" musique" et la rencontre inopinée des deux. C'est délicieusement convenu, on se coule sans résistance dans les figures de style imposées, et pourtant légères : rencontre foireuse, rebuffades, castings ratés, chorégraphies, duos, le mélange des classiques du genre est habile, la musique enveloppante, les acteurs charmants. C'est un très joli film qui balance un tas de références au bon vieux temps (?).
D'accord, je n'aime pas les jolis films et je pourrais vomir cette avalanche de poncifs, mais pour une raison qui m'échappe, je me suis laissée charmer. Peut-être parce que c'est une déclaration d'amour à la nostalgie du cinéma d'antan et de tout ce qui est en train de disparaître : le kitsch, les histoires d'amour simplement racontées, et le jazz qui a trouvé refuge dans ce pays délicieusement vieillot qu'est la France. Le tout raconté et montré avec l'inégalable professionnalisme américain en matière de comédie musicale.
Emma Stone est épatante, et pour une fois, Ryan Gosling ne m'exaspère pas avec ses simagrées de ténébreux creux.

jeudi 2 février 2017

Une Chambre en Inde


Comme toujours à la Cartoucherie, le plaisir d'entrer dans un lieu à part, décoré pour la circonstance (entre Noël et l'Inde, ça donne plein de couleurs et de lumières), le plaisir d'entrer dans le vaste hall, à la fois buffet, salon d'accueil, chaleureux et chatoyant, d'entrevoir les acteurs, les costumes, l'envers du décor... Et voici la Chambre en Inde. Après un démarrage un peu laborieux, alourdi par de curieuses (inutiles?) scènes de défécation (la tourista ?) qui font bien rire, le dispositif prend son essor : il s'agit de Cornelia, lâchée par son metteur en scène, en proie aux affres de la création théâtrale. Désespérant d'avoir une vision qui donnerait corps à son projet.
Donc, elle dort et rêve, et elle les accumule, les visions, avec irruption permanente par les portes, les fenêtres, et même le plancher, du monde réel ou rêvé ou phantasmé. Mouvements parfaits, enchaînement, jeux scéniques etc, et de superbes lumières qui dessinent toute la variété des espaces dedans/dehors. Mais là où ça cloche un peu, c'est qu'elle y fait entrer un peu tout et n'importe quoi, dans sa chambre, tous les échos du bruit du monde, le terrorisme, l'islamisme, les Saoudiens, la condition des femmes, les désastres écologiques, Alep, l'Irak... le tout dans une acception assez simpliste. Et le théâtre. Parce que c'est d'abord une déclaration d'amour au théâtre, à Shakespeare, "mock the villains", à Molière, à Antonin Artaud, à Tchekov aussi, dans une très jolie scène. Et au théâtre populaire local (le Therukootu), où l'on suit plus ou moins les démêlés compliqués du fils du soleil avec son épouse et ses cinq frères, tout en danses et chant choral, repris par toute la troupe.
Qu'est-ce qui manque à tout ça ? Du souffle, de la puissance ? Du lyrisme ? Quelque chose fait rester un peu sur sa faim. Voire s'agacer sérieusement quand les scènes qui se veulent comiques balancent trop de clichés. Quant à la scène finale, hommage au Dictateur (Charlie Chaplin) c'est une irrépressible dégoulinade de bons sentiments. Mais une partie du public est complètement séduite et conquise. Donc, vive le théâtre populaire. Ça reste un joli spectacle.

Lumière

Thierry Frémaux. Une centaine de films des frères Lumière restaurés. Une bulle de légèreté, de fantaisie, de nostalgie, une collection de films à scruter et déguster sous tous les angles, pour voir les visages, les postures, les costumes, la ville, une amorce de toutes les promesses du cinéma. On en sort enchanté et charmé.