mardi 7 mars 2023

et aussi

 Il manque Tàr (Todd Field) j'ai du mal avec cette femme de pouvoir glaçante, j'ai regardé ce film avec un intérêt d'entomologiste, dénuée d'émotion, dénuée d'empathie, comme le film d'ailleurs, une froide et habile construction d'une tenue remarquable : Cate Blanchett fait parfaitement le job, les décors sont sublimes etc... tout est parfait et sous contrôle comme cette femme jusqu'à ce qu'elle se fissure. Tout le contraire de Babylon, foutraque, affectif et génial : j'ai adoré cette histoire du cinéma foisonnante, pleine de bruit et de fureur (Damien Chazelle avec Brad Pitt, Margot Robbie). Knock at the cabin (Night Shyamalan), un horrifique et un peu ridicule divertissement pour faire peur (genre fin du monde imminente sauf si...). The Fabelmans (Steven Spielberg) : à travers une aimable chronique familiale hyper léchée, on voit grandir l'amour du cinéma et de la réalisation chez un gamin qui devient un jeune homme. Description de la famille, (la mère crève l'écran), les vacances, le collège, et  Tellement bien fait qu'on dirait par moment une publicité pour la famille ? le cinéma ? les années 50 ? 60 ? C'est sympathique, sans originalité. Beaucoup de thèmes et d'images donnent une impression de déjà vu.

lundi 6 mars 2023

Le Retour des hirondelles



Film chinois écrit et réalisé par Li Ruijun (titre international : Return to Dust). Wu Renlin (武仁林) dans le rôle de Ma Youtie et Hai Qing (海清) dans celui de Cao Guiying.

Film magnifique et bouleversant qui raconte l'association improbable de deux laissés pour compte, un frère cadet empoté et négligeable (à la 3eme place de la fratrie) et une disgraciée, semi handicapée suite aux maltraitances de sa famille. Personne n'en veut, ils sont nuls et pauvres, marions les et bon débarras. Sauf qu'ils sont faits de timidité, de sensibilité et de gentillesse et s'apprivoisent à bas bruit, multipliant les attentions l'un à l'autre et se créant leur univers au jour le jour, fait de labeur, de solidarité et de bienveillance.

Le film raconte la dureté de la vie rurale et du lopin auquel arracher sa subsistance, l'attention à la nature, aux animaux et aux saisons, l'obstination à l'ouvrage, la loyauté et la fidélité aux engagements... Ou comment deux êtres minuscules (et leur âne) seraient autosuffisants s'il n'y avait pas le village, les magouilles de la famille et des puissants, les méfaits de l'administration et de la politique de modernisation des campagnes. En attendant, on reste scotché à ces gestes minuscules du quotidien (bol de soupe, manteau sur l'épaule, couveuse à poussins...), à ces images de labourage et de semailles, tressage de la paille, fabrication des briques de terre, livraison des ballots de paille, meulage... : saison après saison, tout est minutieusement, amoureusement montré à une allure contemplative qui rend totalement "amoureux" de ces deux-là et rend leur histoire d'autant plus émouvante.

C'est humain, désespérant et dérangeant : les autorités chinoises ont senti la critique et interdit le film (et /ou  transformé la fin). Ce chef d'œuvre est stupidement massacré dans une critique du Monde qui a eu la bêtise de parler de comices agricoles et de chromo lénifiant.

http://www.chinesemovies.com.fr/films_Li_Ruijun_Return_to_Dust.htm

dimanche 5 mars 2023

Empire of light

Sam Mendes

On va au cinéma pour écouter des histoires, contempler des visages, des images, des décors, regarder des personnages, les aimer, s'émouvoir, les détester, voir leur arriver des choses, s'inquiéter pour eux, se rassurer, s'inquiéter à nouveau, être touché par un geste, une parole, un regard, une musique... C'est ça, L'Empire de la lumière : Sam Mendes nous invite au cinéma, un magnifique cinéma comme on n'en fait plus, le genre d'établissement en perdition dans les années 80 et qui n'existe plus. On entre dans l'intimité  et l'humanité de ce cinéma, on rencontre la gentillesse d'une petite équipe, on rencontre  aussi la solitude, la dépression, le racisme, le machisme ordinaire, l'Angleterre des années 80... Et on voit de magnifiques images, à commencer par celles du bâtiment, terriblement photogénique, dedans, dehors, son hall, ses escaliers, sa terrasse... Cet endroit génial mérite une ode à lui tout seul.

Sam Mendes raconte beaucoup de choses sans en faire des caisses, montre des personnages sensibles, subtils, à fleur de peau, c'est émouvant et limpide, parfois comique, on ressent leur solitude, leur désarroi, et aussi  le charme nostalgique d'une époque. Ce cinéma, ou plutôt "le cinéma" est un refuge pour l'humanité, un endroit où rêver, un écran contre la brutalité du monde et c'est ce qui soude cette aimable équipe de sursitaires. Car tout et tout le monde est en transition ou en sursis, dans ce film : ce genre d'établissement qui n'attire plus grand monde, son personnel (notamment le délicieux projectionniste de films "à l'ancienne"), Hillary qui flotte entre deux dépressions, Stephen, qui louvoie entre une rupture et deux agressions en aspirant à l'université. (Bémol : la presque ridicule scène où Hillary va enfin voir un film et est étreinte par la magie du cinéma. Bof)

Micheal Ward (Stephen) et Olivia Colman (Hillary) forment un couple improbable et génial pour déclarer son amour au cinéma et la délicatesse avec laquelle ces deux là s'approchent et se rencontrent a tout d'un instant de grâce.

samedi 4 mars 2023

La Femme de Tchaikovski

Kirill Serebrennikov. Film franco-helvetico-russe. (Alyona Mikhailova est La femme de Tchaikovski)

 Une plongée en enfer. Ce film raconte la noirceur et la violence de la passion qui consume cette femme exaltée et se cristallise en folie. Folle de passion, folle de Tchaikovski, folle de son mariage, Antonina Miliukova y a planté ses griffes et s’y cramponne comme un chien qui ne voudrait plus lâcher son os.
Elle s’est allumée à la lumière de Tchaikovski. Elle a dit comprendre mieux que personne la profondeur, la beauté, le génie de son être, de sa musique, de son âme. Elle l'a voulu pour mari, elle a voulu son éclat, sa lumière, son prestige, elle l’a voulu pour l’idolâtrer, elle l’a voulu d’autant plus fort qu’une femme n’est rien sans un mari et elle a fini par l’avoir. Parce qu'il est homosexuel et qu'il lui faut un paravent social. Mais leur mariage ressemble à une cérémonie funèbre.
La lumière, justement, sa lumière,  il l’en prive radicalement. Il l’évacue de son monde brillant, chic, artiste, masculin, branché. Il la rejette, elle, son corps, ses attentions, sa dévotion d’épouse aimante, elle n’a que lui dans sa vie mais il ne veut pas d’elle dans la sienne. Il la hait corps et âme et la renvoie à l’ombre et au néant de son existence. Elle n'est rien, il est tout, elle s'en repaît, s’en regorge, s'y complaît et s’y vautre, s'humilie, se prosterne, se soumet tout en refusant de lâcher prise : « Je suis la femme de Tchaikovski ». Aveugle, butée, obstinée, étanche, vautrée dans la dévotion, la superstition, la sorcellerie, elle rampe devant Dieu pour posséder cet homme qui ne veut pas la posséder, brûle de passion inassouvie et s’abîme dans d’étranges bacchanales où tout le monde peut avoir ce corps dont Tchaikovski ne veut pas. Plus elle en est folle, plus il lui échappe.
Est-ce qu'elle pourrit la vie du grand homme ? Il arrive à la tenir à distance au gré de tractations sordides par le biais de ses intermédiaires frères, sœur, amis, hommes de loi. Rien n'y fait, au contraire. Antonina sombre, cramponnée à son alliance : ce mariage l’engloutit comme l'enfer.
Cette peinture extrême de la noirceur et de la folie d’une femme met mal à l'aise. Certes, le film parle de l'aliénation de la femme invisible par statut, sauf mariage. Du pouvoir de l'homme, pire, du génie, maître tout puissant... Certes, il y aurait un arrière-plan symbolique et politique qui parlerait de Russie bigote, dévote, aliénée... Mais il y a bien assez à faire avec le premier plan, insupportable et cruel, où il n'y a pas de place pour l'empathie quand on ne voit que harcèlement obstiné, masochisme ravageur, déni de la réalité et de soi-même au nom d'une passion forcenée. (Alors qu'on pourrait haïr Tchaikovski, s'indigner de son pouvoir d'homme qui la nie et la bafoue, de cette époque qui rend les femme invisibles et le génie tout puissant). Dans la scène étonnante où elle enfreint une dernière fois l’interdiction d’approcher le "grand homme", elle se pousse jusqu’à sa dépouille pour s’afficher, par delà sa mort, dans son statut d’ « épouse aimante ». Le mort s’en redresse d’indignation pour clamer son inextinguible haine, du début et de toujours : le vrai dialogue de ces deux âmes, c'est le déni de l'autre.