mercredi 3 août 2022

L'Evangile selon Saint-Mathieu, Pier Paolo Pasolini

L'occasion d'embarquer dans l'œuvre de ce cinéaste que je ne connais pas ou que j'ai oublié. Uccelacci et uccellini : vu et oublié. Porcherie : (peut-être) vu et oublié, pareil pour Théorème, pire pour Le Decameron : souvenir d'un truc bavard, racoleur, barbant. Donc, un regard neuf pour les 100 ans de la naissance de PPP, d'autant que je n'avais vu aucun de ceux-là : c'était une rétrospective des années 60-70.

L'Evangile selon Saint-Matthieu, m'a scotchée. La beauté des images, la beauté des paysages, la beauté des personnages, cette manière incroyable de filmer les visages en gros plan pour y capter de minuscules frémissements. Pasolini oblige à voir ce qu'on a l'habitude de capter fugacement, en passant. 

C’est puissant et d’une beauté saisissante. Pasolini filme le Christ en mouvement, entraînant les gueux à sa suite, les électrisant tandis que le pouvoir s’inquiète et décide de le mettre à mort… Le prologue est sublime, avec Marie debout sur la roche comme une apparition ou une statue, image incrustée dans l’imaginaire collectif, la même qu’on verra apparaître à Lourdes et ailleurs. Marie, belle comme une madone grecque (ou une peinture du Greco ?) sublime de mystère. 


Sauf que c’est aussi l’image déroutante d’une Marie déjà largement enceinte. Pasolini scrute son visage, la profondeur liquide de son regard de vierge méditerranéenne et la contemplation de cette figure (grave ? légèrement torve ? vaguement butée ? d'une opacité adolescente ?) est troublante. Joseph est troublé lui aussi, diverses émotions le traversent pendant qu’il la regarde et que l’ange - encore une figure étonnante - lui annonce qu’elle sera mère de Dieu et qu’il peut / doit ? l’accepter pour épouse. C’est l’Annonciation faite à Joseph traversé de l’ombre d’un doute, le frémissement d’une émotion avant l'acceptation, comme une lumière de joie éclairant ce beau visage mûr, sensible, tactile.
Le premier choc du film, c’est la beauté picturale de ces visages, comme autant de tableaux, livrée par un regard de peintre. Marie, Jésus, Joseph, Jean-Baptiste, les apôtres, … tous les visages sont extraordinairement puissants. Est-ce que ce sont des visages extraordinaires, ou c’est le regard de la caméra qui les rend si profonds, intéressants, essentiels ? Ils sont si présents et sensibles, charnels, à fleur de peau.

 L’autre saisissement, c’est la beauté du paysage et de décors qui n’ont pas l’air de décors : des paysages de falaises, de landes sévères, des déserts volcaniques, des palais et des villes décaties (d'avant les restaurations du tourisme labellisé Unesco). C’était un coup de génie d’incorporer au film ces étranges falaises de Matera, à la fois éternelles et précaires, à moitié façonnées par l’homme. Un incroyable décor-paysage de ville troglodyte sans âge, hors d’âge, millénaire, déglinguée, immortelle, habitée par les miséreux, environnée d’une nature austère de landes pierreuses. Ce décor est extraordinairement puissant et présent, comme s’il était indissociable d'une histoire intemporelle, datant de quand Jésus a fait irruption dans la rudesse du monde.
Et la musique, bien sûr, l’image et la musique se sublimant l’une l’autre, révélant des moments de poésie ou d’émotion pure, à faire se hérisser la peau du dos.

On connaît l’histoire, pourtant on est suspendu à ce film dépouillé, à sa puissance épique, au style virtuose, épuré, incisif. C’est percutant, sans fioriture, sans bavardage, muet mis à part la parole du Christ qui annonce, énonce, résonne, exige, pourfend. Comme si filmer la parole de Dieu dans ce décor minimaliste de pierre, de roche et de pâtures à moutons faisait résonner ce qu’elle a d’essentiel et d’implacable.
Et dans ce monde de pierre, des humains trop humains, sensibles, perplexes, à l’écoute, subjugués. Cet homme paraît et sa parole bouleverse les hommes. Les pauvres, les rien du tout, les handicapés, les enfants. Malheur aux tièdes, aux mous, aux marchands qui commercent dans la maison de Dieu, malheur aux pharisiens, aux hypocrites, aux riches qui ont l’argent, la richesse, le pouvoir, trop d’écrans et de paravents pour entendre cette parole et la suivre.




Pasolini filme cet homme en marche qui sème le trouble et désordre dans une foule versatile et suiveuse, happée par son mystère. Enthousiaste aux Rameaux, grondeuse au procès, elle choisit de sauver Barabbas et se presse sur le chemin de l’exécution : fidèles, badauds, haineux, curieux, ils sont tous là.  
Bizarrement, l’Eglise ne se sentirait pas visée. Elle a adoubé cet Evangile selon Pasolini qui met en lumière le pouvoir subversif de Jésus. Comme si l’Evangile était communiste, comme si l’Eglise donnait la part belle aux rien-du-tout, et choisissait la foi avant les dogmes.



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