jeudi 26 janvier 2012

Le Havre


Ari Kaurismaki
Trop beau pour être vrai, mais quel plaisir, ce mélange un peu foutraque, c'est humain comme du Guédigian, en plus poétique et plus farfelu, et on revisite un peu tout, avec des clin d'œil dans tous les sens : la déco date de bien avant Ikea, l'humanisme aussi, c'est du comme on n'en fait plus, la patronne de bar, le marin-pêcheur, le rocker au cœur tendre...
Ils sont tous vieux, ils viennent tous de l'époque d'un humanisme révolu (même la chienne Laika) et André Wilms se balade avec grâce dans ce monde utopique où tout le monde n'est pas beau, mais tout le monde est gentil (sauf le vilain délateur tendance collabo) et où on joue à cache cache avec les flics comme dans Quick et Flupke. Daroussin est parfait, comme d'habitude.
Et ce mélange à la fois convenu et surprenant, parfaitement irréaliste... ça marche.

Les 3 Parques m'attendent dans le parking.

Au début, elles parlent à l'unisson, et tout en dévidant leur fil de Parques (cette scène est trop longue, déjà) elles parlent pour ne rien dire, à bâtons rompus, à tort et à travers, au fil des sons, des allitérations. Elles y greffent tout et n'importe quoi, elles font feu de tout bois, il y a la gauche et la droite, la crise, Jason, Platon, une pomme, des pommes, une hache, un îlot qui surnage, des valises à roulettes... 
Ce sont d'excellentes actrices, il y a des trouvailles de langage, des inventions scéniques, des jeux de lumières, des inscriptions, des images incrustées en transparence... tout ça aurait pu être très bien, un vrai plaisir théâtral, mais il y a trop de redites, de lenteurs. Je suis frustrée que le plaisir ait été gâché par trop de... et de... difficile de dire ce qu'il y a en trop. Il y a des séquences qu'on croit avoir déjà entendues, surtout qu'elles ne disent rien, elles ne font que du bruit, le bruit du monde et de leur tête, et à la longue, ça donne l'impression de tourner en rond. Ça devient illisible, on perd le fil, même si c'est décousu exprès.
Le metteur en scène devrait faire un grand ménage dans son bazar, et couper hardiment. Couper, c'est bien le propos d'une Parque, non ?

Jacques Rebotier. Théâtre des Amandiers, Nanterre.

lundi 23 janvier 2012

MuMa, Eugène Boudin

http://www.muma-lehavre.fr/fr/eugene-boudin/lhomme
Musée d'Art moderne André Malraux au Havre
Un grand moment au Muma, ce sont les Boudin. Une collection de cartons d'atelier, qui étaient des ébauches, des travaux d'approche. Certains (beaucoup) sont extraordinaires et méritent le voyage.

Les Défouisseurs de vers

MuMa


J'ai fini par aller au Havre,  j'ai commencé par le MuMa (Musée André Malraux). Je verrai la ville après, et contrairement à tout ce qu'on m'a dit sur sa laideur, je ne la trouve pas du tout laide, j'aime l'espace de cette ville, mais c'est une autre histoire. Ici et maintenant, c'est le MuMa. Le musée est campé au bord de l'océan (la Manche) à peu près à l'entrée du port, juste là où commence l'immense promenade qui part du port de plaisance et longe le front de mer jusqu'à Sainte-Adresse. 
 
Nicolas Thomas Baudin, navigateur, explorateur,humaniste, botaniste. (En face du MUMA).
C'est un très bel espace, à l'extérieur comme à l'intérieur, à la bonne taille, ni trop grand, ni trop petit, avec de très belles choses à voir et une architecture agréable, tout en lumière. Je découvre des (gravures ?) de Dubuffet, j'apprends qu'il est né au Havre, je ne sais plus pourquoi je pense à Basquiat (j'ai l'impression que Basquiat a absorbé Dubuffet).

Le tapis offert par Dubuffet à (?) qui lui a inspiré le poème Tapetologie

Quelques Dufy (un autre natif du Havre), un Parlement de Londres, plutôt rose-mauve (Monet). 1 ou 2 Renoir, qui m'ennuie quand même un peu, un Bonnard (une vue par la fenêtre à la campagne). 3 Nicolas de Staël, datant d'une période à Antibes proche de son suicide, une marine de Manet extraordinaire.


Albert Marquet, Quai des Grands-Augustins


Othon Friesz, Le Havre, Bassin du Roy, 1906


Maxime Maufra, Lever de lune en Bretagne, 1899

Zao Wu Ki, Homme et Femme (dominante bleue trahie par la photo)

Au 1er étage, l'extraordinaire collection des Boudin.
et aussi :
Le Miracle de Santa Casa de Lorette (16e siècle) par Francesco da Monterale : des anges  transportent sur un nuage la maison de Marie à Bethléem, pour la déposer en Italie, à Lorette, c'est épatant. 
Une Sainte Marguerite en prière (quelque chose d'intrigant, ou d'attachant, dans cette peinture). 
Deux petites natures mortes de Sébastien Stoskopff, vers 1640 : sombres, luisantes et comestibles, parfaites. Elles donnent envie d'avoir un intérieur sombre, des meubles profonds, des peintures de Vanités et des portraits de marchands. Et aussi :


Adam Willaerts (1577-1669) Vaisseau appareillant

Les filins, les voilures, l'équipage... les barques entre le quai et le bateau. 
Au premier plan sur le quai : les adieux avant l'embarquement 

Une autre visite, l'année suivante : une exposition temporaire (j'ai oublié de noter qui est l'artiste)


Un soir, une ville

Enfer et damnation. Piégée par les critiques dithyrambiques qui encensent Un soir, une ville (Daniel Keene, mis en scène par Didier Bezace, Théâtre de la Commune d'Aubervilliers). Quelle déception. La scénographie et les lumières sont très élégantes, les acteurs excellents, mais les parti-pris insupportables : l'éternel recommencement du rideau qui s'ouvre et se referme, et se rouvre, et se referme, et se rouvre etc...  entre ce qu'on peut appeler des saynètes, et une non moins insupportable musique, insistante, lancinante - ça doit être pour imprimer le grincement du mal-être dans l'âme du spectateur, et ça, ça marche : c'est d'une insupportable lenteur, la solitude, le mal-vivre de ces personnages s'étire interminablement, d'immenses blancs s'interposent entre les répliques et il faut boire le calice de la solitude jusqu'à la lie. Les 3 pièces racontent des relations impraticables, des contacts ratés, des échanges impossibles, et leur ratage systématique. La noirceur des situations et relations humaines (le père alcoolique à l'aide sociale, les sinistres amours de gare, à  tarif négociable, le placement de la maman Alzheimer...  ), les individus largués dans le néant, normalement, c'est un truc qui me parle, je n'aime pas les histoires qui racontent que tout va bien, mais là, ça me rendait hystérique d'impatience et d'ennui.
Cependant, à part les critiques enthousiastes, le public aussi (une partie) a l'air conquis, ils applaudissent longtemps et crient bravo.  (Il y en a qd même  2 ou 3 qui sont partis discrètement).

lundi 9 janvier 2012

Welcome in Vienna

Comment embrasser la plénitude, l'humanité et le désespoir d'un tel film. Mais c'est tellement dénué de pathos que désespoir n'est pas le mot qui convient. Alors pessimisme ? C'est encore un jugement de valeur sur la vie. Et pessimisme est un peu anecdotique. Ce film montre que l'homme a une aptitude infinie  à endurer, traverser, supporter avec patience ? courage ? fatalité ? c'est des mots. En fait, il s'agit d'une aptitude infinie à survivre. 
Echange de sms :
-vu le premier. Magnifique. Très émouvant. Me fait penser à Mouawad
-je t'envie d'avoir les 2 autres à découvrir
-vu le second, c'est une merveille. j'ai hâte de découvrir le 3e.
-c'est toujours aussi mieux-pire
-je suis sous le choc
-ça ne m'étonne pas. Cette trilogie est stupéfiante de profondeur, de lucidité, et d'(in)humanité
-j'ai dormi avec les personnages, les images et ce qu'ils ressentent. Le film ne me quitte pas

Louise Wimmer

Cyril Mennegun
La précarité rend dur. On pouvait s'en douter. Et la critique s'enthousiasme de l'absence de pathos de ce film : l'actrice est en effet antipathique, enfermée dans les humiliations quotidiennes et multiples de sa lutte pour la survie. Il faut dire que Louise Wimmer (excellente Corinne Masiero) n'a aucune raison de sourire ou d'être aimable, alors elle ne sourit ni n'est aimable, et boit tous les calices jusqu'à la lie : elle se lave furtivement dans les toilettes, mange à la sauvette, pique de l'essence sur les parkings, elle doit de l'argent à tout le monde, elle encaisse l'odieuseté de son patron, et de l'assistante sociale, aussi communicante qu'un mur. La seule chose qui la branche, apparemment, c'est sa fille, et là aussi, fiasco, sa fille évite soigneusement de lui céder une miette d'attention.  
Ce film dérange parce que Louise Wimmer ne fait pas semblant. Certes, elle est dans la merde et n'a aucune raison de prendre sur elle pour le faire oublier. Alors pourquoi continue-t-elle à vivre sans faire semblant d'être aimable, présentable, sans faire l'effort de parler à son amant ? Comme disait (Samuel Beckett...?), parler, c'est mentir, vivre, c'est collaborer. Mais elle ne veut ni parler, ni collaborer. Il n'y a que l'alcool, la musique et le sexe pour mettre une parenthèse sur la merde. Alors ? J'avoue avoir quelque peu attendu un accident de voiture libérateur, ou une fatale attaque par des loubards (une de ses nuits sur le parking). 
Bref, je n'aime pas trop ce film monocorde.

Donoma, Djinn Carrenard

C'est captivant et ça sonne vrai : des scènes de rencontres, d'évitement, de séduction, de rupture, de confrontation, c'est aussi fluide et mouvant que la vie, aussi fatal : les choses sont dites, les actes sont commis, ils engendrent d'autres gestes, paroles, actes, et voilà la tournure que ça prend. A la fois imprévisible et inéluctable. 
C'est un film (maëlstromique) qui montre des relations entre jeunes gens et filme des situations où les protagonistes n'arrêtent pas de buter sur la réalité de l'autre, la manière dont il devrait entrer dans sa sphère, son désir, la place qu'il devrait y tenir et la manière dont ça marche ou pas, ou plus, comment ça se fait et se défait.
Chaque personnage avance dans un mélange d'action, réaction et de hasard, il fait des choix et il s'ensuit ce qui s'ensuit, ça devient le parti-pris de sa vie. 
Djinn Carrénard filme juste et fait des portraits de femmes complexes, intelligentes, exigeantes, ambivalentes, les mecs aussi sont intéressants,  mais ils sont moins émouvants que les filles (moins complexes ?) En tout cas, ils se livrent moins, prennent moins de risques, se compromettent moins (comme en vrai ?). On voit moins leurs tripes.

Les Neiges du Kilimandjaro

Guédiguian, Ascaride
Toujours cette incompressible humanité et fraternité, les derniers feux d'une culture ouvrière en perdition. Ces gens sont invraisemblablement humains, généreux, authentiques. C'est touchant et incroyable. 

mercredi 4 janvier 2012

Chocolat






Chaque fois qu'on choisit un chocolat, ou qu'on ne choisit pas, on ne tombe pas sur celui qu'on attend, le chocolat parfait, c'est toujours celui d'après et c'est toujours raté. J'ai eu une ganache pas mal, une autre ganache, pas très différente, et malédiction, le 3ème chocolat, celui qu'il ne fallait pas prendre, était à la menthe. Ça a tout gâché, j'ai ce petit goût astringent dans la bouche, cette fraîcheur parfumée mal venue, qui tue la chaleur capiteuse du chocolat, alors que, curieusement, le chocolat se marie très bien à l'orange ou au gingembre, qui pourtant est astringent, lui aussi.

lundi 2 janvier 2012

Cézanne au Luxembourg






L'exposition est au bon format, pas de queue, pas grand monde dans les salles.
La rue des Saules à Montmartre, le quai de Bercy (Halle aux vins), le quai d'Austerlitz (par Guillaumin et copie par Cézanne), les Toits de Paris.
La salle des lieux d'Ile-de-France : le Bac sur la Seine à Bonnières, la Rue du pendu à Auvers, une autre vue d'Auvers, et le fameux Pont de Maincy. Cette peinture m'a toujours communiqué une impression d'étrangeté ou de tristesse, tout Cézanne, peut-être, communique cette impression. L'ambiance de ses peintures est étrange, la lumière est spéciale, les couleurs aussi, comme éteintes ? Il nous buvarde dans l'ambiance d'un lieu, d'un paysage, on a l'impression qu'il nous attire, nous absorbe dans sa vision du monde.
La salle des femmes est étrange, elle aussi, il peint une époque où les femelles étaient fatalement avides, fatalement syphillytiques, et ruinaient fatalement les bourgeois. La nouvelle Olympie, ou (Le Veau d'or) , presque comique, est exposée au cœur d'une assemblée d'hommes, dont un évêque. Des peintures plutôt (contorsionnées ou torturées) en particulier un petit tableau bleu et noir (Femme au miroir), une triste Bethsabée et la tristesse de sa chair.
Le portrait de Chocquet, une nature morte bleue avec pot de lait et  pommes, d'autres pommes que je trouve ennuyeuses, avec un horrible papier peint en arrière plan, et 2 portraits de Mme Cézanne, qui disent la densité de la dame et du temps. On imagine la lenteur avec laquelle s'écoule l'après-midi, dans le silence de la femme qui coud (est-ce qu'elle coud ?) et de l'homme qui peint. Une forme d'éternité. Donc, finalement, c'est bien.
La dernière salle : Rochers à Fontainebleau, c'est tellement ça, et la Route qui tourne, extraordinaire et fascinante, (me fait penser, allez savoir pourquoi, à une peinture de Monet d'un village sous la neige, dans une des dernières salles de l'exposition du Grand Palais en (2011).


La Confession du Pasteur Burg

Ah, cette fois-ci, je m'y prends tôt. L'année a commencé par enterrer l'autre en allant au théâtre, à La Manufacture des Abbesses, pour voir une œuvre sombre de Jacques Chessex. La Confession du Pasteur Burg est le monologue torturé d'un fou de religion, interprété par l'étonnant Frédéric Landenberg. On est un peu dérouté par les tortures et l'absolutisme religieux de ce pasteur, comme un anachronisme, mais on entre peu à peu dans son monde, d'autant mieux que lui aussi pénètre dans le nôtre, par sa rencontre avec Geneviève. Le texte est beau, et la peinture des tortures de l'âme, rugueuse. 
A la fin le comédien nous a remerciés d'être là (?) peut-être parce que son spectacle n'est pas exactement ce qu'on attend d'une soirée de réveillon, mais il n'y avait que des vieux cultivés (je suppose), là-dedans, du genre à ne pas vouloir spécialement fêter la nouvelle année. 
Et puis champagne-huîtres-foie gras, brie de Meaux, gâteau au chocolat. Et après, on peut aller se coucher.