vendredi 10 décembre 2010

Monet au Grand Palais

Aller voir Monet pour retrouver tout ce qu'on connaît de lui, ou de soi, on ne sait plus qui a commencé, si c'est lui qui a cristallisé ces impressions, ou si on les avait déjà eues avant.
J'ai donc révisé la lumière normande, que je connais, la terrasse de Sainte Adresse, que je ne connais pas, mais c'est tout comme, l'air frais sur la plage, une ombre sur la mer verte, les chaos rocheux, à marée basse, au pied des falaises, l'embouchure de la Touque, dire que j'étais là, moi aussi, exactement là au pied des poutres de la jetée en bois. J'ai revu la mer grosse à Etretat, (je ne l'ai jamais vue grosse à Etretat, mais je sais que ce serait comme ça) avec des humains regroupés, un peu muets, pour contempler la puissance des flots, et communier dans l'effroi de la furie des vagues. J'ai vu la Seine qui charrie des glaçons, la lumière bleue et rose et la couleur boue sale, cette lumière d'hiver hostile, coupante, d'un après-midi trop court. Et le pont d'Argenteuil, qui écrase le paysage de sa masse.
J'ai revu Vétheuil, je ne connais pas Vétheuil, mais je sais que c'est exactement comme ça que ça devrait être, l'incarnation parfaite d'un petit village d'Ile de France, j'ai vu les régates à Bougival, la brise fraîche dans la voile, la lumière orange et bleue et l'entrain joyeux d'un esquif qui avance.
J'ai revu cette femme à l'ombrelle, sur la falaise, et sa robe légère soulevée par la brise, l'image en contreplongée suggère la perfection d'une promenade dans l'air matinal (j'hésite, j'opte pour une promenade matinale) c'est l'impression qui domine, la perfection d'un instantané de promenade vers 11 h du matin au début de l’été.
Toutes ces peintures invitent au silence, elles évoquent ces moments où l'on se laisse envahir par la nature et la texture de l'air, la lumière qu'il fait, les odeurs, ces instants où la conscience s'élargit et intègre le paysage, se met à en faire partie.

J'aime aussi la rue Montorgueil (30 juin) on entend les drapeaux qui claquent dans la chaleur du matin et la liesse populaire, et j'aime les gares. Je me souvenais de ces gares, mais je ne me souvenais pas qu'elles me faisaient tellement plaisir, peut-être pour l'idée de ces grosses machines tapies sous les poutrelles et le fait qu'elles s'ébranlent et font la jonction entre le monde industriel et industrieux, l'esprit urbain et travailleur, et l'appel d'un ailleurs, d'une évasion, en forme de dimanche à la campagne, à Vétheuil, à Bougival ou à la Grenouillère. Comment le peintre a-t-il pu si bien résumer les instantanés de la vie, les tranches de vie, ces fameuse impressions, qui plutôt qu'évanescentes et fugaces, cristallisent au contraire des instants d'éternité imprimés dans l'âme à jamais. J'aime aussi le portrait de Camille, songeuse l'après-midi sur un canapé, on sent le temps de la rêverie évasive, du vague ennui, l'âme étale dans un temps mort de douces divagations, ou peut-être de pensées moroses, elle a un livre fermé à la main, qu'elle n'a peut-être même pas essayé de lire depuis une heure qu'elle est là. Je reviens en Normandie, j'aime aussi la colline de Varengeville, l'église, et cette manière qu'a Monet d'y revenir, de la regarder et de la peindre encore, et encore, pour épuiser le mystère de toutes les saisons, les heures, les minutes qui la changent. J'aime cette prairie de coquelicots, vue et revue jusqu'à la nausée, mais je ne me lasse pas de cette douce folie des coquelicots, qui donnent au paysage une note intense et éphémère, et la nostalgie des promenades en famille, la mère et l'enfant à la fois ensemble et chacun dans son monde.
Puis viennent les voyages à Belle-Ile et dans le midi, mais je ne sais pas pourquoi ces peintures de Belle-Ile et de la côte d'Azur sont ce que j'aime le moins, j'ai l'impression que ces lumières sont trop crues pour Monet. Comme s'il lui fallait forcer le trait, la couleur, empâter le pinceau pour restituer des lumières plus denses, plus brutales.
Et puis il y a ce banc délicieux dans le jardin, sous la charmille, et un livre oublié, avec la maison juste à côté où quelqu'un prépare peut-être le thé, le genre de maison et de jardin exquis, avec une idée de temps suspendu, et peut-être d'instant perdu, comme tout le monde en a connu dans sa vie.
Un grand moment, et je ne m'y attendais pas, ce sont ces 3 vues d'un bras de Seine, et l'ambiance étrange qu'il y fait, comme si Maupassant était passé par là pour lui parler du Horlà. Elles introduisent l'extraordinaire série de Londres (Charring Cross et le parlement) qui annoncent, je crois, les impressions abstraites (Nicolas de Staël ?). J'adore aussi cette vue d'hiver, un village sous la neige, où la lumière est plombée, d'un blanc mat, uniforme et palpitant en même temps, avec tout ce qu'on sent de vie enfouie sous la neige amassée sur cette plaine et ce village.
J'ai l'impression que c'est la dernière toile que j'ai regardée, après avoir regardé Venise, les perspectives de Rouen, et quelques membres de l'incontournable famille des nymphéas (la version en tapisserie des Gobelins est magnifique).


jeudi 26 août 2010


Matin d'août, entre deux vagues de pluie. L'odeur de l'air est mouillée, le quai d'en face encore à peu près désert, la lumière tonique.

vendredi 20 août 2010

Terrier

On se demande ce qui a pu retenir les habitants de cette maison de bazarder toutes ces saletés. Parce qu'ils avaient la flemme de les descendre ? Alors pourquoi ont-ils eu le courage de les monter au grenier ? Parce que dans cet état de délabrement, ça peut toujours servir ? Parce que ce sont des souvenirs ? Mais trois générations plus tard, on se demande bien de quoi il faut se souvenir. Et s'il ne vaudrait pas mieux tout oublier.
 

VitraHaus



Weil am Rhein.
Des tas de sièges.

Un endroit extraordinaire. Pour l'architecture du musée-galerie. Pour la promenade dans les différents étages et espaces. Pour la curiosité.

Remember le printemps dernier


Arriver en train,
déjeuner au Port du Plomb,
pique-niquer à la tombée du jour,
finir au coin du feu. Acheter des huîtres, du vin, du fromage à Chatelaillon, menacer d'aller se baigner, trafiquer au jardin, lire près du puits, brûler des feuilles mortes.

dimanche 16 mai 2010

Musée d'histoire naturelle de La Rochelle




Ça commence par le vivant bien de chez nous, diverses populations des marais, toutes sortes de volatiles et mammifères qui hantent nos contrées, ça s'étend aux animaux marins, galerie animalière, et curiosités des naturalistes du siècle des Lumières - Cabinet Lafaille (?) : les trésors du vivant rapportés par diverses expéditions scientifiques. Les deux derniers étages sont consacrés à l'ethnographie : objets, armes, tissus, masques, instruments de musique. Magnifique mise en scène.

mercredi 28 avril 2010

VU Fairful child


Le triomphe de Fearful Child vendredi dernier, invité à revenir en nième semaine. Edouard, Vince, It (?) Hubert et Camille



Eduard Munch, La Danse de la Vie


Curieux film, un documentaire très personnel, très fouillé, construit en boucles, thèmes et obsessions récurrentes chez Much, la famille très protestante, le décès de la mère et de la sœur, le conflit avec le père, le monde bourgeois de Kristiania (= Oslo avant 1920), le milieu intellectuel-anarchiste, le regard sur les exploités, la prostitution contrôlée par ceux à qui elle profite, la sexualité, culpabilité, la promesse à la mère de tjs aimer Dieu, l'étrange relation avec sa maîtresse Mme Heiberg, la jalousie, les femmes.
Le thème de la liberté sexuelle et de la condition opprimée de la femme, mais aussi l'angoisse devant la femme volage, maîtresse traîtresse, vampire, la reconstitution des diverses expositions avec les réactions des critiques, des officiels, du public. Dans ce brouhaha, des visages, le regard du peintre, l'instantané, l'évolution silencieuse. La bande-son est parfois insupportable, agressive (exprès ?) comme pour faire ressentir la sensibilité exacerbée de Munch, et à quel point la vie peut être bruyante, par rapport à sa recherche, le silence au bout du pinceau, en train de fouiller, cerner, diluer, le motif sur la toile.
A part quelques longueurs (quoique) dans le retour obsessionnel des images constitutives, c'est vraiment intéressant. Le réalisateur, de réputation sulfureuse, connu paraît-il, pour ses mauvaises relations avec les media, est venu se plaindre de ce qu'Arte avait refusé de le programmer. C'est bien dommage. Ce mélange de documentaire et de passion personnelle est trop rare.

jeudi 1 avril 2010

Les états de la matière






















A l'école de Physique et de chimie, c'est en mosaïque, et désuet.


Head On


(In die Wand = Dans le mur), Fatih Akin. Très bien. Deux mal-être, un garçon qui se détruit dans l'alcool, une fille turque qui étouffe dans sa famille ; leur rencontre improbable et une peinture de l'excès, du désordre alcoolique, sexuel, amoureux. Le poids de la famille et de la tradition turques. Le machisme en général et en particulier chez les Turcs. Un film féministe par certains côtés ? La fille (Sibel) est excellente, bonne peinture de la nuit (dérive, musique, alcool, drogue, sexe) jusqu'au sordide. Très bonne musique. Plein de moments du film très tendus, où on est sur le fil, au bord du clash. C'est le plus réussi, ce sens de l'excès, au bord de la rupture.


Soul Kitchen, du même F.Akin : un peu déçue, c'est un film très sympathique, enjoué, enlevé ; c'est déjà ça.

samedi 27 mars 2010

Vincere

Marco Bellocchio : l'histoire d'amour entre Ida Dalser et Benito Mussolini à ses débuts est esquissée au début du film. Ils ont un fils, puis il la laisse tomber. L'histoire serait banale si ce n'étaient Ida (probablement mythomane, voire paranoïaque) et Benito (dictateur en phase ascendante). Le film est magnifique, construit en interférences entre l'ascension du dictateur et la négation de cette femme que les instances supérieures (politico-psychiatrico-judiciaire) s'entendent à effacer. La mise en perspective de l'histoire officielle  - les actualités et les films d'époque - et de l'histoire tragique de Ida rend la chute d'autant plus vertigineuse.  Plus elle tombe dans le vide, plus son obsession de reconnaissance grandit, plus elle s'acharne à combler ce vide, restaurer la vérité, faire entendre ses revendications d'épouse et mère du fils aîné du Duce. Qu'y a-t-il de tellement beau dans ce film ? Les images ? Cette impression d'urgence et de fatalité. C'est un film intense, tendu qui parle du désespoir, de l'impuissance et de l'enfermement et pose un regard acerbe sur les institutions en général, (psychiatrie, congrégations). La trajectoire du fils aussi, en filigrane, est poignante.

mardi 23 mars 2010

India Song

Le salon et le jardin de l’ambassade de France à Calcutta sont un lieu improbable, une fantaisie durassienne, devenue plausible quand elle est bercée par la valse d’Anne-Marie Stretter, tellement plausibles dans cette ambiance d’éternité diluée à la lueur de l’aube, visitée par un fantôme de femme ou de folle ; le lent balancement de cette valse se berce de la nostalgie des amours mortes et des illusions perdues (? En vrai, je ne me rappelle plus, je crois qu’il n’y a pas vraiment de sujet, à part l'énergie lente du désespoir et cette valse lancinante, flux évocateur d'images improbables ou perdues, d'où s'échappe quelque chose de poignant (ou de fatal ?)
C'était l'époque où l'on aimait Marguerite Duras. Aujourd'hui, je ne sais pas si je pourrais, mais à l'époque, elle était bienvenue, je suppose qu'elle offrait un contrepoint évanescent à un trop plein de structuralisme et de pensée dialectique. Ses intuitions, ses approximations, un certain flou troué de trouvailles fulgurantes (?) faisait pas mal d'effet dans le paysage destructuré, lui aussi, comme la mode, comme le reste.

Passe-muraille



Une aimable dame du quartier m'a expliqué que le visage était de Marcel Aymé, les mains de Jean Cocteau, la sculpture de Jean Marais.

mardi 16 mars 2010

Sublime Tetro


Tetro, de Francis Ford Coppola : intense et virtuose. Ça commence la nuit, en noir et blanc, un jeune marin descend du bus et marche dans Buenos Aires. Il est en escale et cherche son frère. Dès les premières images, c'est scotchant de beauté. Après, l'intrigue progresse comme elle veut, mais la force, ce sont ces tranches de cinéma ; comme une symphonie de morceaux 100% cinéma. Les visages des acteurs, les mouvements, les péripéties, les inclusions de scènes de ballet ou de théâtre, la figure et la peinture du père (Klaus Maria Brandauer)...
(Bennie = Alden Ehrenreich), Angie-Tetro (Vincent Gallo), Miranda (Maribel Verdu)
Et ça, c'est de Pascal Mérigeau (Le Nouvel Observateur) : "Noir et blanc. ..., c'est le cinéma non comme qu'il est tenu, paraît-il, d'être désormais, mais le cinéma comme on aimerait qu'il puisse être encore... beau à tomber... Et alors, sur l'écran, tout advient, tout explose. «Tetro» est le film d'un cinéaste qui a tout vécu, tout connu, tout gagné, tout perdu, l'oeuvre d'un homme qui n'a rien à prouver, qui n'a plus à s'excuser de rien. Film d'une liberté absolue, film de maître.... se laisser envahir par «Tetro» ...entendre ce coup de tonnerre qu'est toujours un film majeur..."

C'est qui, Jean Ferrat ?

C'est curieux qu'il soit mort en même temps que le record d'abstention aux régionales. En mourant, il enterre une époque d'avant le monde en miettes, une époque qui avait un semblant de cohésion, où on arrivait encore à penser à la politique sans y voir des discours frelatés. En mourant, il enterre un vieux souvenir de l'époque où camarade n'était pas un gros mot, où on avait envie de croire à l'avènement de la solidarité et de la fraternité. Il enterre une époque où les poètes parlaient simple et vous touchaient droit au cœur, l'époque de Brel et de Brassens, où ce qu'ils disaient avait encore un sens. Aujourd'hui, tout le monde s'est assis sur ses rêves et tout le monde marche ou crève. Le petit Besancenot s'égosille dans son coin, ça ne fait pas envie et ça ne sonne pas vrai. J'aimais bien Jean Ferrat, pas parce qu'il sympathisait avec les communistes, d'ailleurs, on sentait bien qu'à l'arrière plan, l'élan des camarades avait tourné en monstruosité totalitaire, et ce n'était pas ça qu'on voulait. Je l'aimais bien, même quand il était un peu ringard avec son indéfectible chaleur humaine, parce qu'il touchait une fibre de sensibilité aux hommes, à la nature, à des sentiments justes et vrais. Je l'aimais bien parce qu'il faisait vibrer ces valeurs "ringardes" et leur donnait le sens d'un homme généreux et debout. Mais un jeune (19 ans) m'a demandé : "C'est qui, Jean Ferrat ?"

Cherry blossoms, et +


Cherry Blossoms,
Doris Dörrie (à la télé sur Arte) : un couple proche de la retraite, leurs enfants (grands), des vies ordinaires, l'amour conjugal et familial, la banale complexité des rapports avec les enfants, la solitude, le mystère de l'autre, de la perte, de l'absence, la quête de l'autre jusqu'au Japon, la danse de Buto, la jeune fille japonaise. Ça n'a l'air de rien, mais c'est subtil, profond, ça vous prend en douceur et ça ne vous lâche plus.


Anvil : Ces "bad boys" qui secouent furieusement la tête et leurs crinières en faisant le signe de Satan sur des rythmes assourdissants et frénétiques sont donc de bien braves gars. Je n'ai jamais aimé le Metal, mais me voilà charmée par cette très humaine histoire d'amour de la musique et d'amitié, et cette déroutante faculté qu'ils ont de continuer à rêver plus de 20 ans après.

Invictus, Clint Eastwood : sympathique

Nord (norvégien) improbable dérive en scooter des neiges d'un ex-skieur dépressif, des rencontres improbables (d'autres solitudes, d'autres mal-être). Une certaine dérision. On se laisse prendre

mercredi 27 janvier 2010

La Merditude des choses

Contes de l'Age d'or, Miungiu, roumain : drôle et caustique (3 films : L'école de campagne, Le cochon et ?)

La Merditude des choses, Felix van Groeningen, m'estomaque. Ce monde frénétique, bordélique, alcoolique, primaire, brut de décoffrage, tribal, épidermique, un monde à la dérive, et une manière de dériver en famille. Un monde clos et plein, plein de bruit et d'alcool, borné aux limites du patelin - principalement au bistro local - étanche au reste, et un sens dépravé d'appartenance à ce monde merdique, qui se suffit à soi-même, et emmerde le reste du monde. C'est plein de regards sur un tas de choses (la sociabilité alcoolique, le sexe, l''école, la paternité, sa cousine, les p'tits boulots... la misère humaine noyée dans le désordre... et l'étrange lien entre ces gens, l'esprit de clan qui les habite, et le fait d'en être ou de ne pas en être : être un Strobbe ou ne pas être. D'après le best-seller de Dimitri Verhulst.

Paris




Au fond, les ex-
Grands Magasins
Dufayel.

Passage Cottin,
vers la rue Ramey.

La Scuola dell'Attore

Soleil













Le soleil se montre à 9h35, on gèle à -5°cAjouter une imageAjouter une image.


mardi 26 janvier 2010

Titien Tintoret Véronèse : Rivalités à Venise


4 janvier, dernier jour de l'expo Titien Tintoret Véronèse. Il était temps. Hum, grand spectacle de la peinture. Des effets de chairs, de tentures, de tissus, des mythologies, des nuées, de l'emphase. C'est théâtral, parfois sublime, peuplé de figures altières ou musculeuses, et de femmes somptueuses.
Esther évanouie aux marches du trône, toute abandonnée, est tout à fait charmante, (Tintoret, prêté par la reine d'Angleterre), Assuerus ne s'y trompe pas, il s'est levé d'un bond pour l'assister,  l'émoi de la cour se voit dans le chatoiement des costumes, des gorges et des bras nus, des coiffures compliquées...
Encore du grand spectacle, encore une grappe de personnages en émoi, bruissant d'étoffes et de murmures stupéfaits autour du Christ qui vient de guérir une blonde toute en langueur, (Christ guérissant... Véronèse, Londres) soutenue par ses amies, pendant qu'une autre femme, retenant sa manche de glisser, se penche gracieusement sur l'épaule du Christ pour voir, elle aussi, le miracle. Un amour aux fesses nues est à moitié enfoui dans ses étoffes, le tout se joue dans la lumière de pastels un peu mièvres, rose et amande, bleu ciel et lilas, ocre orangé... Le Christ est "ailleurs", légèrement allumé par son auréole, au contact des instances célestes
D'incroyables Pélerins d'Emmaüs : ceux de Titien sont conformes, sobres, retenus, spirituels (?) tandis que ceux de Véronèse participent au capharnaüm d'un étonnant banquet mondain, où il y a des enfants, des servantes et des chiens, et où personne ne regarde la même chose -chacun est ailleurs/absent -tandis que le Christ regarde le ciel, sous l'œil d'une vieille servante revêche. Chez ceux de Bassano, (plusieurs copies de l'œuvre), l'affaire divine est largement reléguée, à droite du tableau, par la scène de cuisine au premier plan.
La Dernière Cène de Tintoret : encore de l'émoi, chacun se regarde et se récrie, c'est un instantané, arrêt sur image, temps suspendu, chacun prend l'autre à témoin, proteste de son innocence. De dos, isolé, Judas cache ses deniers, à ses pieds, le chien et le chat s'expliquent.
La mort du Christ aussi est théâtrale, racontée avec noirceur et emphase, l'émoi des assistants, les froissements d'étoffes, l'inertie du corps mort. Dans la Déploration du Christ (Tintoret, AccademiaVenise) double inertie : Marie, symétriquement évanouie dans les bras de Marie-Madeleine (?), est aussi exsangue que son fils dont elle tient les doigts de pied froids dans sa main.
Il y a des St Jérôme à profusion (je préfère celui du Titien, lui aussi retenu, épuré, simplifié), un étrange Baptême du Christ dans la nuit, sinistre, angoissant, un non moins étrange Jardin des Oliviers, tout en noirceur, des portraits admirables, où la noblesse des figures ne le cède en rien à l'apparat de la représentation - pape, doge, amiral -(ah, les tissus, les armures, les coiffes, les airs sévères ou altiers). Le portrait de l'homme et son fils est plus réussi que celui de sa femme et de  sa fille. Dans la Tentation de Saint-Antoine (Véronèse, Caen), toute la lutte est concentrée entre un démon musculeux et le malheureux vieillard gisant dans ses étoffes.  En comparaison, la tentatrice penchée au dessus du saint, dont un seul sein est dévoilé, semble bien délicate, presque étrangère à la scène, juste un peu curieuse de découvrir la faille du saint homme dont elle griffe délicatement la paume de ses ongles, noirs et griffus, qui seuls trahissent la démone.
Ah les femmes ! C'est plein de femmes sensuelles, voluptueuses, charnelles. L'impudique Suzanne est surprise dans l'intimité de sa toilette dans son "jardin-paradis" de délices, riche de promesses sensuelles, sous l'œil concupiscent des deux vieillards lubriques...
Les femmes sont lascives, rêveuses (Danaé de Titien), ou calculatrices et pragmatiques (Danaé de Tintoret, à Lyon), alanguies, il y a au moins 6 tableaux de femmes alanguies, sinon voluptueuses, dont le vêtement tombe au bas des reins, découvre la naissance du pubis, la fourrure du vêtement confondue avec la naissance de la toison. Je préfère la Venus au miroir de Tititen, opulente, souveraine, tranquille dans la jouissance de sa beauté, à celle de Véronèse, à l'air fourbe et frelaté. Dans l'étonnant  Venus et l'Amour, (Sustris, Louvre), Venus attend Mars avec une tranquille impudeur et la complicité d'un amour fessu, et dans l'étonnant tableau du Respect, l'homme a l'air bien moins respectueux que préoccupé d'autre chose, pendant que la femme assoupie, l'air repu et gourmand, semble attendre un hommage. Et Lucrèce est toujours délicieuse sous les assaut de Tarquin,  ... les peintres semblent adorer ce sujet, représenté 5 ou 6 fois.

Je retiens : des couleurs, des étoffes, des matières, des lumières, des mouvements, de l'effroi, de l'action, des passions, le spectacle de l'humain observé, raconté, emphasé, inventé, héroïsé, dramatisé, commenté, illustré. C'est magnifique.

http://mini-site.louvre.fr/venise/fr/exposition/prologue.html

dimanche 24 janvier 2010

Films 2009

Frozen River :

chez les prolos à la frontière canadienne. Rencontre de la femme de 45 ans, larguée par son mari, et de l'Indienne, passablement rejetée de sa tribu. Leur association improbable, sur fond d'humanité mutuelle. C'est pas mal, il reste une impression de (densité du vécu)

Burn after reading (frères Coen)
sympathique histoire parodique d'espionnage, mention spéciale pour le personnage de Brad Pitt en crétin du fitness, la femme est drôlement brossée elle aussi. Agréable passe temps.

Les Noces rebelles, (Revolutionary road) Mendès
La description du milieu est parfaite, les disputes sont bien vues, les personnages satellites sont ok, avec une mention particulière pour le fou, mais c'est trop... (démonstratif ? la montée est trop rigoureusement exacte ?)
Travail !! de critique : P. Garnier, écrit dans Libération que 4 autres films, au moins (L’Homme au complet gris, Liaisons secrètes (Richard Quine, 1960), Demain est un autre jour (Douglas Sirk, 1956), Loin du paradis), ont mieux traité le sujet, et aussi un roman (Un bonheur parfait, de James Salter) qui était mieux que Revolutionary road. Que si John Frankenheimer l’avait filmé en 1962, on aurait vu ce qu'on aurait vu, et que Kate Winslet est une épouvantable manipulatrice qui a obligé son mari à le faire, ce film. Et qu'en plus, elle est stridente. Et que Di Caprio est affreusement mal choisi.
Moi je le trouve très convaincant en cadre inférieur middleclass et poupin. Et pourquoi il a pas dit, le critique, que ce film verrouille assez hermétiquement le sujet de l'enfermement, et qu'on ne sait pas ce qui aliène le plus ? La médiocrité de l'existence ou celle des aspirations sans objet ? Que ces poussées paroxystiques de haine conjugale qui se résolvent dans l'affection quotidienne sont bien vues. Que le mécanisme de l'aliénation générale et personnelle est efficacement administré, même si la démonstration est infligée de manière un peu systématique... démonstrative. D'où il ressort un léger ennui. On se prend à aspirer au dénouement, prévisible. Heureusement que le fou vient, de loin en loin, semer un peu de zizanie. Ça montre assez bien comment des humains ordinaires (elle en dur, et lui en mou, c'est le fou qui le dit) se débattent avec leur vie ordinaire.

Gran Torino
Clint Eastwood aux prises avec les petits voyous du quartier qui terrorisent ses voisins (famille asiatique Mong (?) Vieux, seul, pas commode, voire raciste, mais... etc. C'est bien foutu, bien raconté.

Twoo Lovers
bien. Un jeune homme mal à l'aise avec sa vie, une sorte de convalescent après une tentative de suicide, parce que son amour (sel, élan, sens à sa vie) est parti. Il traîne dans l'appartement de ses parents, prend ses médicaments. Portrait subtil des 3 protagonistes. Sollicitude inquiète. Le père, la mère, le fils, les interactions d'affection et de pesanteur. Il rencontre deux femmes en même temps, la voisine flashante, bandante, barje, et une aimable jeune fille sympathique, fiable, chaleureuse au bon profil d'épouse. Pendant tout le film, il avance sur une corde raide et on se demande de quel côté il va basculer.

Welcome, Philippe Lioret
Un Kurde à Calais, sa fiancée à Londres, le maître-nageur. Bien. Triste humanité.

Revanche, Götz Spielman, autrichien
Un prostituée et son ami échappent à la mafia, font un casse, un policier la tue, il se réfugie chez son grand père, voisin du policier et de sa femme...Bien. Bien vu.

Les Plages d'Agnès, Agnès Varda. Jolie promenade dans l'âme et les souvenirs d'une dame qui a vivement participé à l'air du temps.

Harvey Milk, Gus van Sant. Film-biographie (?), sur le personnage militant pour les droits homosexuels entre 1970 et 78. Passionnant comme une enquête, ambiance électrique de l'époque et insertion dans la machine politique, très bien rendu. Une époque où donner de l'espoir avait un écho. Echo, justement, Cœurs perdus en Atlantide, (Stephen King), retour sur les années soixante et suivantes. La première nouvelle est la plus intéressante, mais les autres (séquence fac, séquence post vietnam, séquence deuil) restituent une époque révolue, celle où la jeunesse prenait le pouvoir, ou pensait pouvoir le faire. Regard sur la période contemporaine, celle où l'adulte mûrissant ne peut que contempler ce monde perdu avec nostalgie. (Regarder toute les citations musicales qui émaillent le livre).

The Chaser, Hong-jin Na, coréen : j'ai entendu une jeune fille sortir de là en disant que c'était nul. Moi, j'ai bien aimé l'ambiance ville, les rues de Séoul, et j'ai été bien scotchée par l'enquête-poursuite du proxénète, assez haletant, la partie psychopathe est un peu trop crade, (interdit aux moins de 12 ans, j'irais bien jusqu'à 14) mais son comportement et le suspense pendant la garde -à-vue est intéressant, la peinture des flics et du maire est assez drôle, même si, tout de même (?), caricaturale. Bref, c'est un bon film dans son genre.
Tokyo Sonata, Kiyoshi Kurosawa : d'accord, tout le monde sait que ce n'est pas marrant d'être japonais, parce que les codes sont encore plus serrés, et les marges de manœuvre encore plus étroites. Mais quand même, j'aime bien la peinture de personnages ficelés, chacun à sa manière et selon ses moyens et que tout ça dérape. Le salary man, le plus ficelé et le plus convenu, aura droit à un dérapage émaillé d'épisodes sordides. Dérapage en forme de chute au fond d'une cuvette de chiotte. Sa femme est ficelée d'une manière plus intérieure, c'est normal, puisqu'elle est mère et femme d'intérieur et passe son temps, cela va de soi, à ranger son nid et nourrir ses hommes, fort peu reconnaissants, à vrai dire. Ce qui fait qu'elle s'offre un dérapage assez déjanté, délirant, parfaitement irréaliste, donc parfaitement bienvenu, et qu'elle est, l'espace d'un instant, riche de son permis de conduire, la plus libre des ficelées. Le fils aîné n'a pas perdu de temps pour rater quelques barreaux de l'échelle sociale, d'ailleurs, il est déjà trop vieux pour faire comme papa, alors en fait de dérapage, il s'offre un sacré saut dans le vide. Il reste les enfants, bien sûr, qui résistent comme ils peuvent à la mise en conformité, mais les pères les battent quand ils les choppent (le copain fugueur, rattrapé et battu par son père, le fils cadet, battu parce qu'il a choisi la voie interdite des leçons de piano, en dérapage contrôlé par l'art). Lui, au moins, il pourrait bien se libérer, la scène finale est magique, où chacun est soustrait, soulevé.

Oss 117, Rio ne répond plus Jean Dujardin toujours sympathique, mais c'est un peu lourd, il manque l'effet de surprise qu'il y avait dans Le Caire nid d'espions.

La Femme sans tête (Argentine) nullissime, d'un ennui mortel, la bourgeoise, son milieu, l'acccident, le rêve, le mensonge, le silence. En plus, l'image et la couleur sont crades.

Good Morning England : ambiance déjantée et personnages drolatiques du bateau radio. Bonne évocation de l'esprit libertaire, briseuse de carcan, de ces années. Bonne musique.

In the electric mist (Tavernier) : enquête sur l'assassinat d'une jeune femme, salement mutilée. Un équipe de tournage est dans le coin. Le réalisateur, son amie, le producteur lié au milieu, ses hommes de main, un cadavre venu d'un autre âge, le personnage du flic, (shérif) sa maison, sa femme et sa fille. Tous les personnages sont intéressants, l'ambiance est dense. Excellent.

Millenium, l'Homme qui n'aimait pas les femmes. Enquête sur la disparition d'une jeune fille 40 ans plus tôt, dans une famille du grand capital. Bien scotchant. Personnage original de la "rebelle". Le journaliste, homme mûr, rigueur, droiture, solidité.

Whatever if works, Woody Allen, sympathique, le bon vieux Woody Allen en vieux misanthrope pessimiste et acariâtre, et la jeune dinde du Mississipi, pas si dinde et bien joie.

Jeux de pouvoir, pourquoi pas. Sombre machination. Un député, sa maîtresse, son dossier sur la privatisation de services de l'armée, le journaliste (Russel Crow) et la jeune journaliste qui débrouillent les fils du complot. Solide.

Victoria, les jeunes années d'une reine. Jean-Marc Vallée. Critiques sévères (hagiographie etc) mais c'est pas mal (luttes de pouvoir avant la succession) puis manipulations politiques et entrée en scène d'Albert (le Belge). Historico-romantique, beaux décors.

Là-haut : sympathique histoire de rêves d'enfance, de vieux monsieur et de maison portée par des ballons. Lunettes pour la 3D.

Partir (Corsini). Daube avec la jolie K Scott-Thomas, mélo, encore plus chiant que la vie.

Un Prophète : (Jacques) Audiard. Très bien. Epaisseur des personnages, (les deux protagonistes principaux sont bluffants (Arestrup et ???) épaisseur de la prison, logique des enchaînements, implacable et en même temps sur le fil, plein de situations au bord de la rupture, où ça pourrait basculer dans un sens comme dans un autre. D'où la force du film, à la fois fatal, inéluctable et (à suspens).

Pas d'orchidées pour miss Blandish, Robert Aldrich.
Miss Blandish est kidnappée par le gang Grissom, mené par Ma, femme de tête malfaisante, son fils (Jim), psychopathe et débile, et des acolytes plus ou moins malfaisants ou crétins. Mais Jim tombe absolument amoureux de miss Blandish. Intéressante peinture d'idiot complexe, et de tous ces malfrats diversement brossés chacun dans son genre. La transformation de la gosse de riche, enfant gâtée en prisonnière condamnée à survivre. Tout ça dans un Kansas rural surchauffé.

Le Sacrifice
Andrei Roublev
Stalker
Solaris
Nostalghia
Le Miroir

Tu n'aimeras point, Einaym Pkuho : choc, violence, sobriété. L'irruption de la passion chez un boucher juif orthodoxe / intégriste. La peinture du milieu, du quartier, de la famille, et la perturbation occasionnée par la présence du jeune homme, propulsé apprenti-boucher, par la compassion du boucher, ou peut-être déjà, par une obscure curiosité pour ce jeune homme. En filigrane, la société briseuse d'aspirations individuelles (la jeune Sarah vouée à un mariage arrangé, alors qu'elle en aime un autre, qualifié de fainéant et de bon à rien). Les séquences à la Yeshiva (l'école talmudique ?). Le personnage du rabbin, assez mesuré, le boucher, profondément perturbé par cette passion dévastatrice. Les "nervis" fascisants qui veulent rétablir l'ordre.

Allemagne 09 13 courts métrages au cinéma L'Arlequin :
-Angela Schanelec, images du matin (ville, hôpital, campagne...)
-Dani Levy, Joshua (réalisateur du Führer ?) pessimiste, va chez le psy, qui lui donne une pilule aux effets bizarres... (son fils s'envole...)
-Fatih Akin : interview d'un jeune turc né en Allemagne, Murat Kurnaz, ex prisonnier à Guantanamo
-Nicolette Krebitz : la rencontre d'Ulrike Meinhof et Susan Sonntag
-Dominik Graf : la destruction des maisons comme destruction de la mémoire, remplacées par des bâtiments (neufs, standardisés, la "transparence" contre (?°
- La femme qui tourne un documentaire sur un centre d'aide sociale fréquenté par les gamins du quartier
- L'institutrice qui organise un débat pour résoudre les problèmes à l'école
-Hans Weingartner, "Gefährder" l'universitaire de gauche soupçonné d'appartenir à un groupe terroriste : les mesures préventives de flicage, mise en carte des données le concernant (ses 4000 contacts)
- L'entrepreneur qui ne supporte pas que son journal change (Frankfurter Allgemeine Zeitung)...
-Tom Tykwer, Feierlich voyage
-Romuald Karmakar, l'interview du patron de sexshop
-Wolfgang Becker (Goodbye Lenin), Krankes Haus : métaphore de l'économie malade, un mélange d'Urgences et de Dr House appliqué à l'économie en état de collapsus
-Christoph Hochhäusler… Séance : déménagement des terriens sur la lune et séances d'effacement de la mémoire (contre la nostalgie)

Comment vit-on en Allemagne aujourd'hui ? Plutôt mal : les petits matins sont blêmes, et les idées sont noires, mais on peut se soigner à coup d'ampoules aux effets bizarroïdes,
l'économie est en état de collapsus avancé et on détruit des quartiers entiers, au nom du modernisme et de la transparence, détruisant au passage la mémoire qui va avec. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung a subi une intolérable atteinte, les intellectuels de gauche ne valent guère mieux que des terroristes, et les enfants ne sont pas épargnés : le quotidien de l'aide sociale ou des leçons de citoyennenté à l'école.
Et il y a des vieux à ne plus savoir qu'en faire
Et quand ça va bien, ça ne va pas mieux : cf la vie internationale et standardisée d'un robot-cadre de la mode.
C'est toujours sombre, parfois drôle, et parfaitement hétérogène. Une somme de regards qui renvoie à la noirceur du monde, à quelque chose d'irréversible dans la course du monde, à la perte globale de liberté et d'innocence (piqûre de rappel pour ceux qui auraient oublié que globalement comme en particulier, c'est la merde).

500 jours : aucun intérêt.
Plus tard : j'ai vraiment vu ce film ? J'ai eu beau regarder le synopsis sur Allociné. Rien à faire. Black-out complet.

Singularités d'une jeune fille blonde, Manuel de Oliveira : charme suranné, désuet, dans un monde clos, un jeune homme , une jeune fille à l'éventail, un regard, un coup de foudre, son attention focalisée, un obstacle (son oncle) une péripétie en forme d'épreuve (le renvoi, la galère, le séjour au Cap Vert, les difficultés aplanies, le rebondissement fatal, la résolution des problèmes, la demande en mariage, l'incident.)
Narration simple (minimaliste), leur relation aussi, minimaliste, tout est réduit à sa simple expression, reste l'importance du cadre (des cadres et cadrages : portes, fenêtre, codes sociaux (le magasin à l'ancienne, la sociabilité à l'ancienne, les usages en vigueur, )
et la narration dans le train.

Le Ruban Blanc, Michaël Hanecke
Violence des rapports sociaux, violence de la religion, violence des rapports humains. (Scène des verges derrière la porte, rupture du docteur avec sa maîtresse, extorsion par le pasteur de l'aveu du fils...)
Les images sont magnifiques : plan de la campagne par où arrive le médecin à cheval, la scène de fauchage, la décapitation des choux, la grange en flammes, les paysages d'hiver, la promenade en attelage des fiancés, les intérieurs (pasteur, baron, médecin, régisseur, paysan - la famille Felder), la toilette de la morte, la scène où l'enfant s'approche de la morte.
La loi domine, dans ce film : loi des pères, loi du pasteur, loi du maître, loi des hommes, et surtout, loi du silence. Dans ce monde, il convient d'obéir et se taire. Alors ce sont les faits qui parlent : une succession d'actes mauvais, violents, dont la source reste mystérieuse. Violence et soumission s'épanouissent dans ce monde archiclos : les enfants obéissent au père, les hommes obéissent au maître, les femmes obéissent aux hommes, mais les hommes obéissent aussi à leurs pulsions, et les enfants obéissent entre eux à des lois mystérieuses qui les conduisent à faire le mal, en secret, et cela en dépit (ou en raison) de l'excès de contrôle.
Curieusement, c'est l'antipathique baronne qui énonce (dénonce ?) l'enfermement de cette société de haine, bestialité, brutalité. Le dialogue sur la mort entre Rudi et sa grande sœur, la scène de rupture du docteur, la rhétorique du pasteur, les scènes chez les paysans... toutes ces séquences sont du matériau lourd, dense, qui enfonce davantage dans le désespoir, l'enfermement, la consternation, l'inexorabilité du mal présent et à venir. L'épisode de la Confirmation est extraordinaire : chacun est confirmé dans ce qu'il est dans le secret de son âme (y compris le mal qu'il fait - ou qui l'habite ?). Mais il y a aussi des scènes où le réalisateur communique la grâce : la rencontre entre l'instituteur et la jeune fille, le baiser dans l'attelage, l'oiseau blessé recueilli par le petit garçon... En fait, les seuls rescapés, ceux qui ont encore droit à l'innocence sont les tout petits (moins de 5 ans), Rudi, le petit frère à l'oiseau, éventuellement ceux qui sont étrangers à ce village (l'instituteur et la jeune fille). Mais tout ça n'est que broutille comparé à la guerre, la Grande, celle qui vient et va tout balayer. Car l'homme est toujours capable de faire pire.

Le Concert :
drôle, haletant, sympathique.

Avatar : grand spectacle. La nature est belle, tout le vivant est relié, et la pensée correcte.