vendredi 10 décembre 2010

Monet au Grand Palais

Aller voir Monet pour retrouver tout ce qu'on connaît de lui, ou de soi, on ne sait plus qui a commencé, si c'est lui qui a cristallisé ces impressions, ou si on les avait déjà eues avant.
J'ai donc révisé la lumière normande, que je connais, la terrasse de Sainte Adresse, que je ne connais pas, mais c'est tout comme, l'air frais sur la plage, une ombre sur la mer verte, les chaos rocheux, à marée basse, au pied des falaises, l'embouchure de la Touque, dire que j'étais là, moi aussi, exactement là au pied des poutres de la jetée en bois. J'ai revu la mer grosse à Etretat, (je ne l'ai jamais vue grosse à Etretat, mais je sais que ce serait comme ça) avec des humains regroupés, un peu muets, pour contempler la puissance des flots, et communier dans l'effroi de la furie des vagues. J'ai vu la Seine qui charrie des glaçons, la lumière bleue et rose et la couleur boue sale, cette lumière d'hiver hostile, coupante, d'un après-midi trop court. Et le pont d'Argenteuil, qui écrase le paysage de sa masse.
J'ai revu Vétheuil, je ne connais pas Vétheuil, mais je sais que c'est exactement comme ça que ça devrait être, l'incarnation parfaite d'un petit village d'Ile de France, j'ai vu les régates à Bougival, la brise fraîche dans la voile, la lumière orange et bleue et l'entrain joyeux d'un esquif qui avance.
J'ai revu cette femme à l'ombrelle, sur la falaise, et sa robe légère soulevée par la brise, l'image en contreplongée suggère la perfection d'une promenade dans l'air matinal (j'hésite, j'opte pour une promenade matinale) c'est l'impression qui domine, la perfection d'un instantané de promenade vers 11 h du matin au début de l’été.
Toutes ces peintures invitent au silence, elles évoquent ces moments où l'on se laisse envahir par la nature et la texture de l'air, la lumière qu'il fait, les odeurs, ces instants où la conscience s'élargit et intègre le paysage, se met à en faire partie.

J'aime aussi la rue Montorgueil (30 juin) on entend les drapeaux qui claquent dans la chaleur du matin et la liesse populaire, et j'aime les gares. Je me souvenais de ces gares, mais je ne me souvenais pas qu'elles me faisaient tellement plaisir, peut-être pour l'idée de ces grosses machines tapies sous les poutrelles et le fait qu'elles s'ébranlent et font la jonction entre le monde industriel et industrieux, l'esprit urbain et travailleur, et l'appel d'un ailleurs, d'une évasion, en forme de dimanche à la campagne, à Vétheuil, à Bougival ou à la Grenouillère. Comment le peintre a-t-il pu si bien résumer les instantanés de la vie, les tranches de vie, ces fameuse impressions, qui plutôt qu'évanescentes et fugaces, cristallisent au contraire des instants d'éternité imprimés dans l'âme à jamais. J'aime aussi le portrait de Camille, songeuse l'après-midi sur un canapé, on sent le temps de la rêverie évasive, du vague ennui, l'âme étale dans un temps mort de douces divagations, ou peut-être de pensées moroses, elle a un livre fermé à la main, qu'elle n'a peut-être même pas essayé de lire depuis une heure qu'elle est là. Je reviens en Normandie, j'aime aussi la colline de Varengeville, l'église, et cette manière qu'a Monet d'y revenir, de la regarder et de la peindre encore, et encore, pour épuiser le mystère de toutes les saisons, les heures, les minutes qui la changent. J'aime cette prairie de coquelicots, vue et revue jusqu'à la nausée, mais je ne me lasse pas de cette douce folie des coquelicots, qui donnent au paysage une note intense et éphémère, et la nostalgie des promenades en famille, la mère et l'enfant à la fois ensemble et chacun dans son monde.
Puis viennent les voyages à Belle-Ile et dans le midi, mais je ne sais pas pourquoi ces peintures de Belle-Ile et de la côte d'Azur sont ce que j'aime le moins, j'ai l'impression que ces lumières sont trop crues pour Monet. Comme s'il lui fallait forcer le trait, la couleur, empâter le pinceau pour restituer des lumières plus denses, plus brutales.
Et puis il y a ce banc délicieux dans le jardin, sous la charmille, et un livre oublié, avec la maison juste à côté où quelqu'un prépare peut-être le thé, le genre de maison et de jardin exquis, avec une idée de temps suspendu, et peut-être d'instant perdu, comme tout le monde en a connu dans sa vie.
Un grand moment, et je ne m'y attendais pas, ce sont ces 3 vues d'un bras de Seine, et l'ambiance étrange qu'il y fait, comme si Maupassant était passé par là pour lui parler du Horlà. Elles introduisent l'extraordinaire série de Londres (Charring Cross et le parlement) qui annoncent, je crois, les impressions abstraites (Nicolas de Staël ?). J'adore aussi cette vue d'hiver, un village sous la neige, où la lumière est plombée, d'un blanc mat, uniforme et palpitant en même temps, avec tout ce qu'on sent de vie enfouie sous la neige amassée sur cette plaine et ce village.
J'ai l'impression que c'est la dernière toile que j'ai regardée, après avoir regardé Venise, les perspectives de Rouen, et quelques membres de l'incontournable famille des nymphéas (la version en tapisserie des Gobelins est magnifique).