jeudi 19 décembre 2019

Une Vie cachée, Terrence Malick

Est-ce que cette obsession de scruter la nature, l'immense, immuable, somptueuse et muette beauté de la nature n'est pas une manière de scruter le divin, d'interroger sa présence, sa permanence, ou son absence. Terrence Malick y revient incessamment, entretenant un dialogue décalé avec... qui, d'ailleurs ? Dieu ou l'absence de Dieu et son mutisme obstiné. Dieu à qui on a envie de rendre grâce de ce miracle qu'est la nature, son immense beauté, les sublimes mises en scène de ses paysages, et rendre grâce aussi du miracle du vivant, des saisons, du jour et de la nuit, de cette terre qui produit fleurs et fruits, animaux, céréales, rivières et ruisseaux... Dieu omniprésent dans la plénitude et obstinément muet dans la Passion de Franz.
Ce film est un immense point d'interrogation sur la plénitude et la gratitude (rendre grâce de ce miracle) et ce qu'il advient quand survient le Mal. Comme un conflit, une rupture, une solution de continuité entre sa vérité intime et la réalité du monde. Les scènes du début mettent en image l'harmonie d'un couple dans son monde, une petite communauté où les hommes vivent à la sueur de leur front, engendrent des enfants et des récoltes. Une vision idyllique, quasi biblique, troublante et presque gênante dans un monde de scepticisme et de doute. Le Franz, pétri de l'harmonie et de l'ordre (divin, ou moral ?) du monde, entre donc en opposition quand survient l'inacceptable, l'abus de pouvoir qui rompt la justice et l'équilibre, l'isole de la communauté villageoise et le désigne aux autorités militaires. L'Anschluss est cette fracture, la trahison de la souveraineté, de la légitimité, de l'autorité morale : inacceptable et non négociable.
S'ensuit ce dialogue en images, Fani dans sa campagne, Franz dans sa caserne ou sa prison, leur solitude, leur amputation l'un de l'autre, leur amour et leur foi l'un en l'autre, et l'infini questionnement de Franz. L'apothéose est cet entretien bouleversant avec le juge qui lui demande s'il a le droit de faire ça (s'obstiner à refuser l'allégeance aux nazis, comme un orgueil insensé qui met tout le monde - à commencer par sa famille- dans l'embarras ou la douleur). Franz lui demande en retour "s'il a le droit de ne pas le faire". La Passion de Franz, comme celle du Christ, dans un univers muet où ses interrogations restent sans réponse. Le film comme un immense point d'interrogation sur ce qu'on se doit à soi, sa conscience, ou à ce Dieu caché.
On sort de là la gorge serrée par l'absolue, démente pureté de cet homme et en se demandant où et combien de fois on a trahi sa propre conscience.

mercredi 18 décembre 2019

Lillian

Andreas Horvath
Etrange film, étrange personnage porté par son idée fixe, son obsession, sa folie, sa clôture sur son objectif : retourner en Russie à pied.
Elle trace, sans interférer, enfermée dans son mutisme et son isolement (elle ne parle pas anglais ou si peu), ou son "dérangement"
Elle trace
et c'est prétexte à revisiter les paysages de la mythologie et de la réalité américaine à ras de bitume, de poussière, de champ de maïs, de trous du cul du monde
Elle traverse des paysages et des scènes de genre qu'on a vus mille fois, mais son regard ne s'arrête pas, ne comprend pas, n'interfère pas,
c'est définitivement une étrangère sur un territoire immense, même pas hostile, juste inhumain où elle organise sa survie au jour le jour
On voit ainsi passer l'Independance Day dans un patelin lambda, des high way et des free ways qui s'effacent à mesure qu'elle s'enfonce au milieu de nulle part, c'est à dire de l'Amérique profonde, on voit passer le MidWest et ses champs (de maïs), le pervers de l'Iowa, les Badlands, les bouseux du Montana, le flic de comté, les charity shops, les Indiens des réserves, et la grande, l'immense nature où elle avance
et elle regarde tout ça sans équipement, sans voiture, à hauteur d'humain et à distance de pieds.
On revisite aussi la mythologie des hobos, des supertramps, de La Route, sauf que c'est débarrassé de tout lyrisme, de toute emphase, de toute littérature
et il s'en dégage une étrange poésie sauvage, une sorte de mysticisme de la quête, ou de folie, et de grande liberté ou de grand enfermement.
C'est un beau film poignant.