dimanche 23 août 2020

Jardin intérieur à ciel ouvert : un jardin remarquable en Normandie

 

L’entrée dans cet univers est inattendue et surprenante, ça pourrait être un labyrinthe où l’on est constamment dérouté ou dépaysé, c’est bien mieux parce qu’on est toujours ailleurs mais jamais perdu, parce qu’aucune perspective n’est banale ni prévisible ni convenue, et qu’on en rencontre une infinité : on chemine dans une surprise et un émerveillement continus. Même la haie bocagère qui borde une extrémité du jardin (et qui existait avant lui) oublie d’être ordinaire et crée des vues étonnantes sur un simple pré habité par des vaches. Ce jardin est un ravissement où l’infinité des essences, le mystère des sentiers, le jeu des points de vue, des recoins et bifurcations déjouent la banalité du déjà-vu.
Au détour d’une pierre, d’un arbuste, d’un ruisseau, on découvre des retraites inattendues, des associations déroutantes, des micro-climats. On a du mal s’arracher à ce jardin, chaque station opère un charme étrange, né d’une profusion d’impressions, de formes, d’ombres et de lumières changeantes, mouvantes, graciles, vives comme l’eau vive, dans le bruissement des feuilles, le murmure des fontaines, le ramage des essences dans le vent. On ne sait pas où l’on va ni ce qu’on va rencontrer mais chaque pas, chaque regard est neuf. Tout le jardin cultive l’art de se renouveler sans cesse, comme une ode aux infinies variations sur le thème du branchu, du feuillu, du touffu, de l’aérien, de l’aquatique, de l’unique, du simple, du multiple, du symphonique… La rencontre de plantes étranges ou familières crée des impressions  inédites, captivantes, comme un enchantement. On a l’impression de renouer avec l’essence du végétal, dans une nature élégamment construite et déconstruite. C’est mystérieux, mouvant, familier, captivant.


 


http://www.jardin-interieuracielouvert.com/le-jardin/

jeudi 13 août 2020

Eté 85

François Ozon. Le film a un charme certain, charme de la nostalgie, nostalgie de l'adolescence, du premier amour, de la fascination pour une personnalité solaire qui affiche hédonisme, anticonformisme, envie de vivre sans entrave, et un soupçon de perversité ? A moins de mettre ça sur le compte de l'insouciance de l'adolescent pressé de séduire et de recommencer. Pour Alexis, qui devient Alex, tout est nouveau, surtout cette aisance personnelle et sociale. L'adolescent (16 ans) tombe évidemment sous le charme du jeune bourgeois "affranchi" (David, 18 ans) il tombe même violemment amoureux, sauf que les deux jeunes gens ne sont pas sur la même longueur d'onde. Au fil des séquences-clé d'une idylle naissante (la fête foraine, la moto, le cinéma, les premiers moments d'intimité...) le filme capte parfaitement la fraîcheur de la rencontre et des premiers émois, l'atmosphère de vacances sur une plage normande, le charme sexy des garçons. C'est bien vu, bien senti, aussi bien entre les deux personnages que dans leurs milieux sociaux respectifs, et la  narration est habile : pour expliquer ce qui s'est passé, Alex doit revenir sur l'enchaînement des faits et démêler ainsi ce qui a été un maëlstrœm d'émotions, comme un film qui est allé trop vite. Et même si on connaît la fin, on se demande tout le temps ce qui a bien pu se passer. Donc, c'est bien avec un bémol : ici ou là, un soupçon d'artificialité chez David et sa mère. Ils sont un peu trop parfaits dans leurs rôles respectifs. Mais après tout, c'est peut-être aussi cet excès qui éblouit le jeune Alex. Tellement loin de la bienséance de son milieu et des braves gens que sont ses parents.


mardi 4 août 2020

Beloved

 
Yaron Shani. On s’attend au pendant de Chained, la même histoire vécue par Avigail, la femme de Rashi. Ça l’est en effet, mais c’est autre chose car Beloved prend une dimension plurielle en gravitant autour de divers personnages féminins. Autant Chained est focalisé sur Rashi, le mâle dominant, autant Beloved gravite autour d’Avigail et des femmes qu’elle rencontre et qui deviennent ses amies, principalement la sage-femme. Comme si la femme (ou ses ancrages) était plus complexe ou multiple que l’homme.
La sage-femme exerce une version new-wave de son métier, où l’écoute et le « care » dominent (avec une empathie quasi gourouesque sur ses patientes/groupies/suiveuses). Etre à l’écoute de soi, son corps, ses besoins, ceux du bébé. Aussi bien les besoins physiologiques que relationnels. On est loin de Rashi qui compte seulement sur la technologie pour avoir son enfant et qui d'ailleurs sent bien que sa femme lui échappe. Elle doit louvoyer pour justifier ses absences et sorties avec ses nouvelles copines.
Cette vision intime des relations humaines donne de très belles scènes : entre les femmes, avec les bébés, la naissance, les cheveux... Avigail se libère de ses chaînes subtilement, presque timidement et réalise avec beaucoup de grâce et de douceur que toute sa vie avec Rashi est en porte-à-faux, à l'encontre de ce qu'elle est et veut vraiment.
Le « care » est le thème omniprésent du film : prendre soin de la femme et du bébé avant, pendant et après l’accouchement, mais aussi soin des vieillards (Avigail est infirmière dans un Ehpad) et aussi, le plus compliqué : prendre soin de soi. Au delà des bonnes intentions, il reste le mystère des personnes cachées derrière les non-dit, conventions, rancœurs de l'histoire familiale... La sage-femme et sa sœur pètent un câble, deviennent des blocs d'émotions, violemment opposées dans leur manière d’être au monde, de vivre leur filiation, leur relation à leur père et à leur mère. Leur histoire prend de plus en plus de place dans le film, qui d’ailleurs tourne court ; ça finit bizarrement en queue de poisson, sans même aboutir au final de Chained (qu’on connaît déjà). Mais on retient que la quête de soi est une aventure douloureuse.

Chained. Yaron Shani. Un flic israélien intègre et balourd mène sa vie professionnelle et familiale sans douter de ses valeurs ni de la manière de faire respecter la loi : il braque ses suspects, se met à dos sa belle-fille adolescente et la met en porte-à-faux avec sa mère, et sème conflits et tensions sur son passage. Le film raconte son enfermement dans sa vision de ce qui est bien, et sa manière de l'appliquer jusqu'à l'impasse. Son amour pour sa femme et sa volonté bornée d'agir selon ses principes le mènent droit dans le mur.

lundi 3 août 2020

Tout simplement noir

Jean-Pascal Zadi. J'y suis allée avec une petite méfiance, craignant les blagues franchouillardes convenues, j'ai découvert un auteur et acteur intelligent, plein de dérision et d'autodérision, qui invite à une aimable pérégrination dans toutes les nuances du noir, à commencer par celles du mot lui-même : noir, ce n'est pas black, ni nègre, chaque terme renvoyant à des acceptions différentes, c'est tout simplement noir.
Quant au fait d'être noir, Zadi en épluche un certain nombre de spécificités en faisant défiler une galerie de personnages plus ou moins noirs : de scène en scène, chacun renvoie à une identité, une histoire, une expérience, une revendication, une manière différente d'être et de se sentir noir : africain, antillais, américain, d'origine, de France, de banlieue... chacun a sa façon d'être noir et sa manière de le porter : fière, agressive, militante, communautaire, opportuniste, politique... ou de le nier.
Ça se complique quand deux identités (ou plus) s'affrontent et se disputent la manière d'être le plus légitimement noir ; s'ensuivent prises de bec, joutes oratoires savoureuses, voire empoignades dans une série de séquences drôlatiques, traversées par les gaffes et bévues du héros, passablement naïf ou gentiment ahuri, quand ce ne sont pas ses personnages qui s'emmêlent les pinceaux et s'enfoncent dans des contradictions douteuses. Bref, c'est excellent