Serguei Loznitsa. Des trognes, des figures, de ces gens qui se chamaillent dans les queues, trinquent dans les trains, vous invectivent si vous êtes sur leur chemin, des grossiers personnages occupés à défendre leur pré carré, rouspéter contre leur voisin, déplorer la grandeur perdue de la Russie et invectiver les ennemis fantasmatiques qui ont causé son déclin. Ils sont gros comme les pauvres, mal habillés. Ils ont le franc-parler de ceux qui ont oublié qu'on peut mettre les formes dans les relations avec autrui. Ils sont amers, dépossédés de leur grande Russie, chère patrie, mythe confondu avec celui que Staline avait érigé en URSS. Où est la grandeur perdue ? Elle s'arrête à la hauteur de ceux qui ont le pouvoir : les fonctionnaires de la poste ou de la prison, de la police ou de l'armée, la mafia. Elle verse dans l'arbitraire et la corruption.
La première scène montre une femme seule sur une route poussiéreuse, au milieu de nulle part, débarquée d'un bus brinquebalant. Dans ce monde déliquescent, cette femme digne plutôt que douce (en anglais, ils ont traduit par gentle?, mais que signifie krotkaya ?) et doucement obstinée, cherche à savoir pourquoi son colis ne peut pas être transmis à son mari emprisonné. Dans sa quête, elle rencontre une collection d'humains trop humains, veules, soiffards, machos, gouailleurs, égoïstes, brutaux, avides ou méchants. Des rencontres bizarres, inquiétantes, dont on se demande à chaque fois sur quoi elles vont déboucher. Sa quête est prétexte à montrer de vraies grosses tranches de vie à la russe. Plusieurs scènes sont tournées de très près, on est quasi submergé par l'hyperréalisme caricatural des situations, comme dans les moments où l'on est dépassé par une situation qui vous échappe. Comme dans un cauchemar. Des scènes débordantes, débridées, rigolardes, paillardes, mais aussi des scènes à rendre fou, à se taper la tête contre les murs, tellement règne l'arbitraire et la loi du plus fort, avec le sentiment de tourner dans un bocal dont les parois se rapprochent et où la logique se dérobe.
Ça raconte un monde économiquement et socialement déglingué, plutôt désespérant.
lundi 21 août 2017
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