vendredi 10 février 2017

Silence

Martin Scorsese.
Le plus évident, c'est la beauté du film, des cadrages, des décors, pour mettre en scène une histoire étonnante : deux prêtres portugais partis en terre inconnue à la recherche d'un premier qui n'a plus donné signe de vie, qui partent aussi pour continuer à évangéliser.
Le contexte : un Japon fermé aux influences étrangères (vers 1640), hostile à la vision chrétienne du monde et à la volonté de christianisation perçue comme l'ingérence et l'impérialisme du monde occidental.
Les deux prêtres sont d'abord confrontés à l'étrangeté et à la cruauté du monde, à la marge du Japon, là où ils ont débarqué clandestinement, chez des pauvres pêcheurs chrétiens persécutés. Lesquels ont une foi irréductible, une soif intense d'un prêtre, de sa parole, de son intermission pour bénir, confesser, donner une direction et un sens à leur foi. Là, les prêtres commencent à flipper devant une attente aussi absolue, comme s'ils étaient le messie, alors qu'ils n'en sont que ses émissaires. On dirait que la tâche va être trop lourde pour eux. Mais bon, soutenus par leur foi, ils peuvent faire encore abstraction de la réalité. Et croire.
En face, il y a l'élégance hiératique et implacable du pouvoir, acharné à conduire les persécutions pour éradiquer le christianisme. Jusqu'au fond de l'âme des prêtres. Les autorités ont compris qu'elles n'arriveraient à rien par le martyre, tous y sont prêts, les pêcheurs comme les prêtres. Mais pire que sa propre mort, il y a celle des autres. Jusqu'où la fidélité à ses convictions justifie-t-elle le martyre des autres ? Que vaut la défense de ses convictions face à la souffrance d'un homme ?
Réponse ??? Le film est une interrogation sur le silence de Dieu et la réponse impossible. Du fond de sa détresse, le prêtre s'identifie à Jésus au jardin des Oliviers, qui lui aussi implorait un signe de Dieu "pourquoi m'as tu abandonné". Péché d'orgueil apparemment. La seule loi est celle du silence, et de la manière de s'en accommoder.
Que vaut l'idéal chrétien face à une autre vision du monde ? Qu'est-ce qui peut briser la foi, l'intime conviction d'un homme, son sens de l'honneur ?C'est un film beau et lent, captivant par la mise en scène hiératique, la solennité et la puissance de deux visions du monde qui s'affrontent.
(Mais prêtres et pêcheurs ont un petit quelque chose de faux, ça sent son cinéma. Ils sont trop bien maquillés et salis. En revanche, les Japonais d'en haut s'en sortent bien parce qu'ils sont parfaitement stylisés dans des décors impeccables).

Libération parle de fresque historique, il me semble que ça n'a rien d'une fresque historique, mais plutôt du point d'équilibre où va se fixer un personnage, sur fond de trame historique. C'est un dialogue de soi avec soi. Une histoire d'intime conviction vacillante. Jusqu'où ?

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