Sinan rentre donc chez lui, dans une petite ville quelconque (apparemment, historiquement, c'est Troie) habité d'un mal-être mâtiné d'une légère misanthropie, où il inspecte les possibles d'un regard incomplaisant. Professeur ? Encore faut-il réussir le concours. Et le modèle du père n'est pas concluant. Flic, comme un pote ? Là au moins, il y a du travail. Écrivain ? On ne sait pas, et lui non plus, s'il n'est qu'un plumitif fumeux ou un écrivain en herbe. A propos de "devenir", il y a une scène inaugurale très belle avec une jeune fille du patelin, une amie d'avant, où il s'étonne qu'elle entre si "naturellement" dans l'ordre du mariage de convenance. Quel autre choix ? "On avait l'avenir à portée de la main," dit-elle, et c'est déjà évanoui. Lui en est encore à l'orée des possibles, si rares et médiocres soient-ils. Il a encore envie de se prendre pour quelqu'un, croisant de sa hauteur les médiocrités ambiantes : le maire et sa langue de bois, l'entrepreneur local et sa haine des intellectuels vs l'esprit d'entreprise. Et dans cette entrevue foutraque qu'il extorque à un écrivain arrivé, on ne sait pas si le jeune homme fait preuve de culot et d'arrogance, ou de lucidité. Maladresse, fausse assurance, immaturité ? Il n'a pas les codes.
Le film interroge aussi la religion (savoureuse balade avec les imams), la paternité (son père instituteur aurait dû être respectable mais, joueur compulsif, il s'est discrédité et doit de l'argent à tout le monde), et la figure de la mère. A part les feuilletons télé qui font rêver, elle a une humanité et une sorte de résistance passive à toutes les usures. Et il y a la nature. Dans cette ambiance noire, la nature rayonne de beauté et de lumière. Dans ce maelstrom de tourments, d'amertume, de déceptions, de contingences, elle affirme sa permanence, son immuabilité à travers le passage des lumières , des intempéries, des saisons... La nature immuablement dure et belle, étrangère aux tourments des hommes, leurs lâchetés, leurs traîtrises.
Au final, quand Sinan rentre chez lui pour la deuxième fois, c'est quelque chose comme ça que le père semble avoir compris, faisant abstraction de son ego pour juste faire ce qu'il y a à faire. Comme sa mère depuis toujours, dailleurs. Et c'est apparemment quelque chose comme ça que Sinan a voulu écrire, avec ses histoires de ruralité et de poirier sauvage, comme une intuition de cette vérité.
La beauté du film, à part la beauté des images, c'est la justesse de la narration, un tissu ample, généreux, et à travers une trame générale ambitieuse, le fil de conversations cousues main : cst fou ce que ces gens ne parlent pas pour ne rien dire.
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