lundi 30 mai 2016

L'Esprit de la ruche

Victor Erice. Ana et le monstre. Le temps suspendu. Dilaté dans l'imagination d'une petite fille. Fascination pour l'inconnu et le mystère, et mystère de la mort. L'ambiance de cette campagne déserte, de cette demeure trop grande, de ce village presque mort, oublié du monde et du temps. Un monde vide peuplé d'imagination et de rêverie. Le vide à perte de vue, traversé par une voie ferrée. Et cette bâtisse abandonnée, avec un puits, qui focalise chez la petite fille toute la source du mystère. Ce film est étonnamment puissant avec si peu d'effets. Parce que le paysage est magnifiquement filmé, et l'enfance est magnifiquement racontée, et la complicité des petites sœurs. Et en même temps, ce qui les rend différentes, essentielles. Parce que l'aînée lui montre les choses comme un jeu. Et que la petite sœur les prend de plein fouet. Au premier degré. Parce chaque scène filme la densité du temps et de l'espace, et de ce que ressentent les protagonistes. Chaque scène donne son espace à tout ce qui se trame dans un regard échangé, une fenêtre qui s'ouvre, l'empreinte d'un pas, une pomme, un champignon, une trace de sang, un doigt blessé, la mystérieuse danse des abeilles, des rails à l'infini, et le regard profond et lumineux de cette petite fille.
Les parents et le monde des adultes font pâle figure. Ils sont à l'arrière plan, assez inutiles dans l'expérience que leur fille Ana fait de la mort et du monde. C'est un film à revoir, plein de beauté et de mystère.

Je pourrais  le dire différemment. Ça commence dans une campagne désolée et déserte, où la seule chose qui arrive, c'est le cinéma. En l'occurrence, c'est Frankenstein, dont le présentateur dit que tout ce qui arrive n'est pas vrai. Sauf dans l'imaginaire d'une petite fille qui ne fait pas le tri dans l'intensité de ses impressions. Et qui vit suspendue à la puissance de ce qu'elle ressent. Alors que sa sœur plaisante, que sa mère rêve, et son père ... on ne sait pas trop ce qu'il fait son père, à part élever des abeilles, chacun dans son alvéole. Bref, Ana et son regard incroyable, magnifique, voit des choses incroyables dans le vide de cette existence rurale, dépeuplée, suspendue.
C'est un film dont on n'a pas envie de se déprendre.

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